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Natural Resource Governance around the World

Histoire et politique foncières de la Pologne

Written by: Dimitri Liorit, Dimitri Liorit

Writing date:

Organizations: Terres d’Europe - Société de conseil pour l’aménagement foncier rural (Terres d’Europe - Scafr)

Type of document: Research Paper

Summary

Ce document fait partie d’une étude comparative des politiques foncières rurales menée conjointement par Terres d’Europe SCAFR et AGTER avec l’appui de la Chaire d’agriculture comparée d’AgroParisTech. Il porte sur 5 pays européens, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Pologne. Il a été réalisé à la demande du Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (France) aujourd’hui Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.

Synthèse

L’intégration à l’Union Européenne et à la Politique Agricole Commune constitue le deuxième grand bouleversement contemporain des structures polonaises après le démantèlement des grandes structures collectives au cours des années 1990.

L’effondrement du régime communiste a principalement affecté les fermes d’Etat et les coopératives de production, mais beaucoup moins la majorité les petites structures familiales. Celles-ci, qui recevaient déjà peu de subventions de la part du régime, ont poursuivi, après 1989, leur stratégie de diversification des revenus à partir de petits noyaux fonciers. Les freins posés par l’idéologie communiste à l’agrandissement et à l’investissement dans les structures individuelles avaient conduit à un important morcellement des exploitations et au recours systématique à des revenus extérieurs. Dans les années 1990, la petite propriété foncière a très souvent gardé un rôle de matelas de sécurité dans un contexte économique incertain.

La fin des subventions aux fermes d’Etat a davantage laminé la classe des ouvriers agricoles employés dans les grandes structures du croissant nord-ouest. La redistribution des terres publiques par l’Agence de la Propriété Agricole, en lots de grande taille et par un système d’enchères, a fréquemment profité aux anciens dirigeants des PGR qui ont constitué par location des sociétés de droit privé de 300 à 600 hectares. Sur une superficie moindre, les exploitations coopératives ont également pu être converties en personnes morales privées de quelques centaines d’hectares.

La tendance des années 1990 a donc été à la polarisation des structures, les exploitations de taille moyenne (de 10 à 30 hectares) voyant leur effectif diminuer au profit des plus grandes ou des plus petites, particulièrement celles de moins de 1 hectare. Le processus d’agrandissement foncier privé, que le régime communiste avait mis tant de zèle à contrarier, n’a pas démarré dans les années 1990 et ce malgré la levée des barrières au libre marché foncier privé : le marché des terres, pourtant estimé à près de 250 000 hectares annuels (secteurs privé et public confondus) a peu profité à l’agrandissement des exploitations moyennes. Du moins d’après les statistiques officielles. Les enquêtes menées sur le terrain montrent clairement une dynamique ancienne d’agrandissement par location, souvent orale et de courte durée, dirigée de petites exploitations de moins de 5 hectares vers des structures plus grandes (20 hectares). Cette catégorie d’exploitation a donc pu s’agrandir de manière informelle auprès de plusieurs petits bailleurs du voisinage, mais de façon précaire, ce qui a pu pénaliser les emprunts bancaires et les investissements de longue durée (matériel, cheptel,…). Lesdits bailleurs, ont été incités à conserver la propriété de leurs micro-structures par un faisceau de facteurs : la propriété agricole offre une possibilité de repli si l’emploi à l’extérieur vient à faire défaut ; au-delà de 1 hectare, elle donne accès au régime avantageux de la Sécurité Sociale Agricole ; en deçà de 2 hectares elle dispense de payer les cotisations chômage, tout en ouvrant droit aux indemnités. En cela la micro-propriété foncière a joué un rôle important d’amortisseur social lors de la transition des années 1990, en permettant la survie d’un grand nombre de chômeurs « cachés », en fait sous-employés sur des petits lopins. A cette dimension sociale se sont ajoutés des prix relativement faibles du foncier qui n’encourageait pas à se défaire d’un petit patrimoine. Du côté des acheteurs, les taxes et frais liés aux mutation, prenaient une part du coût d’achat d’autant plus dissuasive que le bien était petit. La rétention des ventes, l’émiettement des lots échangés, autant que les difficultés financières des acquéreurs potentiels ont donc contribué à limiter la restructuration pérenne des exploitations et à recourir à un format d’échange plus souple, par location (70 % des échanges de terres dans les années 1990).

Dans les années 2000, le nombre total d’exploitation et la SAU polonaise ont continué à décroître mais suivant des modalités différentes. Si les avantages sociaux liés à la propriété se sont maintenus malgré des tentatives de réforme du KRUS, des changements importants sont intervenus avec l’amélioration du contexte économique et à l’application de la Politique Agricole Commune. Les aides directes à l’hectare, entièrement découplées, et négociées dès 2004 à hauteur de 55 % du niveau de subventions versées aux anciens membres, ont participé à l’augmentation du revenu à l’hectare des agriculteurs. Dans la pratique, le versement des aides reste étroitement lié à la propriété (à partir d’un hectare de terrain), ce qui a pu conduire à des restructurations au sein de petites unités familiales, et explique en partie l’érosion des microstructures de moins de 1 hectare. Les exploitations de taille immédiatement supérieure (de 2 à 5 hectares) ont profité de la disparition des exploitations de moins de 2 hectares et se sont maintenues en nombre tandis que les exploitations de 5 à 20 hectares ont continué de voir leurs effectifs diminuer. Pour les grandes exploitations de plus de 30 hectares, les subventions à l’hectare ont constitué un facteur considérable d’amélioration du revenu. Elles ont continué leur progression en nombre, mais sur des surfaces toutefois moins importante que dans les années 1990. La mission de l’APA visant depuis 2003 à limiter la concentration de terres au-delà de 300 hectares peut en être un facteur explicatif.

Les aides surfaciques, facteurs d’augmentation du revenu agricole à l’hectare, ainsi que les taux d’intérêt réels, décroissants sur la période, ont fortement joué sur les valeurs foncières : le prix des terres arables sur le marché privé, stable en termes constants sur la période 1996-2002, a augmenté de 17 % par an à partir de 2003, pour s’établir en 2008 à 4 400 euros/hectares. En comparaison, le prix des prés a progressé moins vite et a atteint en 2008 entre 2 300 et 3 100 euros/ha selon leur qualité. Même si les difficultés consécutives à la crise économique et financière de 2008, ont infléchi la hausse des prix en 2009 et 2010, l’aide d’Etat sur le paiement des intérêts d’emprunts lors de l’acquisition de terres agricoles devraient faciliter l’accès au crédit et soutenir la hausse des prix dans les années à venir.

Ce renchérissement du foncier est intervenu alors que l’agence de la propriété agricole, dépositaire des anciennes exploitations collectives, réduisait sensiblement son offre de terrains : les surfaces cédées en location ont reculé de 41 % entre les périodes 1997-2001 et 2002-2006, tandis que les surfaces vendues ont décroché de 31 % entre 1996-2002 et 2003-2010. Les loyers et les prix de vente pratiqués par l’Agence, négociés les uns comme les autres aux enchères, ont connu une augmentation comparable aux valeurs du marché privé des terres.

Suite à cette baisse de l’offre de l’Agence, liée à des contraintes principalement politiques et juridiques, l’APA a observé un regain des transactions sur le marché des terres privées. Les échanges de terres par le marché privé, estimés à 170 000 hectares/an dans les années 1992-1998, auraient dépassé les 200 000 hectares annuels dans les années 2000, pour un nombre de 69 000 transactions enregistrées par les notaires en 2006. L’ouverture du marché coïncide avec une diminution des actes de donation, dont les conditions fiscales sont pourtant plus avantageuses. Ainsi, les divisions égalitaires, traditionnellement pratiquées pour offrir une assise foncière minimum à chacun des membres de la fratrie, cèdent progressivement le pas à une transmission en entier du patrimoine, voire, si le repreneur familial fait défaut, à une mise en vente de l’exploitation. Ces ventes sont devenues attractives avec la hausse des prix et ont pu intervenir précocement suite à l’introduction d’un système de préretraite très incitatif. Comme dans tout marché immobilier, la hausse des valeurs foncières entraînent dans un premier temps une augmentation du nombre de transactions, soit une ouverture de marché.

En parallèle des aides du premier pilier, un certain nombre de dispositifs de développement rural ont effectivement incité à la restructuration des exploitations. Dans un premier temps, en 2004-2006, ont été mis en place des soutiens au développement des exploitations de semi subsistance et une politique de départ en retraite anticipé. La première mesure, visant spécifiquement les structures de 3 à 6 hectares (c’est-à-dire sous la taille moyenne nationale), s’est orientée principalement vers leur agrandissement – 60 % des dossiers mentionnant des projets d’achat ou de location de terres. La seconde mesure, destinée à libérer du foncier au profit d’exploitants plus jeunes, a montré des effets de restructuration limités, près de la moitié des départs en préretraite se traduisant par une transmission à l’identique de l’exploitation. Un effet secondaire positif de cette mesure a été de formaliser un certain nombre de baux précaires et d’offrir ainsi au repreneur une assise foncière stable et reconnue, même si, pratiquement, rien de changeait à la surface initialement exploitée par le fermier.

Le programme de développement rural 2007-2013 passe à la vitesse supérieure en n’accordant des aides (à l’installation ou à la transmission via la retraite anticipée) qu’à la condition d’atteindre une taille moyenne suffisante : celle des exploitations de la voïvodie, ou, si celle-ci est inférieure à la moyenne nationale, la taille moyenne des exploitations polonaises. Le programme de préretraite cible désormais uniquement les exploitations de plus de 3 hectares, pour des restructurations plus rapides. Le programme d’aide est donc décalé d’un cran et ambitionne une émergence plus rapide d’exploitations de 10 à 30 hectares, catégorie de taille qui peinait pour l’instant à progresser dans la paysage agraire polonais, du moins sur une assise foncière officielle et pérenne.

Cette évolution des programmes de développement rural, ainsi que les réformes intervenues dans le fonctionnement de l’APA, et le soutien aux emprunts pour l’achat de terres agricole révèlent une volonté politique, et surtout la mobilisation de moyens conséquents, pour favoriser l’émergence d’exploitations familiales professionnelles, sur le modèle de l’Union des 15. L’APA, chargée depuis 2003 de limiter l’agrandissement excessif des structures, a privilégié les enchères restreintes réservées à l’agrandissement d’exploitations familiales. Aussi, une catégorie d’exploitations « hautement commerciales », c’est-à-dire capables de générer un revenu agricole à parité avec les autres secteurs économiques, s’est considérablement renforcée entre les années 1990 et 2000 (Pouliquen, 2011). Leur part est passée de 6 % des structures, 11 % des terres et 18 % de la production vendue en 1992, à 12 % des exploitations, 38 % des surfaces et 62 % de la production vendue en 2005. L’agrandissement de leur surface a été une composante importante de leur progression dans le paysage rural polonais, en particulier dans les années 2000 où les aides attachées aux surfaces ont fortement conforté leur revenu : leur taille moyenne a augmenté de 11 % entre 1996 et 2000 puis de 27 % entre 2000 et 2005. D’après les études de l’IERiGZ, cette catégorie d’exploitations hautement commerciales présente un niveau de spécialisation et de formation plus élevé que les autres structures familiales, ainsi qu’une taille supérieure à la moyenne (29,5 hectare), même si ce profil d’exploitation peut se rencontrer occasionnellement sur de petites surfaces, grâce à des productions à forte valeur ajoutée à l’hectare (fruits et légumes, élevage hors-sol,…). On les retrouve donc principalement dans le centre du pays, où il existait historiquement des structures familiales moins morcelées qu’ailleurs, et dans les anciens territoires recouvrés sur l’Allemagne, où l’offre de terrains de la part de l’APA a permis les agrandissements les plus significatifs.

Néanmoins, la progression en surface de ces exploitations « professionnelles » se heurte d’une part à la réduction des surfaces mises en vente ou en location par l’APA, et, d’autre part, à la résilience des exploitations de semi-subsistance, qui continuent d’occuper 30 à 40 % de la SAU nationale. Ces dernières, faiblement spécialisées et le plus souvent cantonnées sur des surfaces de moins de 10 ou 5 hectares, continuent de produire 1/3 de la production agricole polonaise. La composition hybride de leurs revenus (commercialisation des produits agricoles, autoconsommation, emploi extérieurs, transferts sociaux,…) les rend particulièrement aptes à surmonter les crises : elles ont résisté à la dégradation de l’économie agricole lors de la période de transition ; elles se sont en grande partie maintenues (les lopins de moins de un hectare faisant exception) face à la concurrence des plus grosses exploitations, qui ont pourtant capté dès la mise en place du programme de pré adhésion l’essentiel des subsides européennes ; elles permettent enfin à la Pologne de tamponner la hausse du chômage consécutive à la crise économico-financière éclatée en 2008. Par leur relative indépendance vis-à-vis du prix des matières premières agricoles et des subventions européennes, elles devraient continuer de résister aux fluctuations futures des cours agricoles et à la réforme prochaine de la PAC. De l’autre côté, les exploitations sociétaires de grande taille (coopératives, sociétés commerciales ou fermes d’Etat de plusieurs centaines d’hectares) restent au nombre de 4 200 et plafonnent à 11 % de la SAU. Le total des exploitations de plus de 100 ha représentent en 2007 environ 1 % des structures et 25 % des surfaces agricoles polonaises, une part qui ne devrait croître que marginalement compte tenu des mesures prises à l’encontre de la concentration excessives des terres.

La politique foncière polonaise va sans doute continuer de privilégier les exploitations professionnelles « hautement commerciales » et inférieures à 300 ha, sur un modèle proche de celui des anciens membres, attendu qu’elles permettent très certainement de baisser les coûts de l’alimentation urbaine et qu’elles ouvrent des possibilités alléchantes d’exportations agro-alimentaires. Néanmoins, il serait dommageable de sacrifier à cet objectif les petites exploitations pluriactives polonaises, qui offrent tant de services en matière de sécurité économique et de cohésion sociale et territoriale, parmi une population encore à 40 % rurale. Leur maintien a pu être favorisé par certains avantages sociaux et économiques, financés en grande partie par l’Etat ou l’Europe et procurés par la détention d’un minimum de surfaces (éligibilité à la sécurité sociale agricole et aux aides directes dès 1 hectare de propriété). Mais l’offre relativement faible de terres pour l’agrandissement (par ailleurs très inégale régionalement) et les faibles garanties offertes par les baux à ferme ont certainement également incité à la conservation en l’état de petites structures. Après le repli paysan intervenu dans la période de transition post-communiste, il semble que la prudence soit restée de mise en termes de spécialisation et de restructuration, et que préférence soit restée aux stratégies de diversification des revenus.

Face à une agriculture à deux visages, toujours polarisée et régionalement très différenciée, la Pologne doit par ailleurs répondre à des questions foncières spécifiques, qui rende difficilement lisible la future politique des structures. Les missions de l’APA, étendues à la régulation du marché privé des terres, ne doivent pas pâtir d’un manque de moyens pour le traitement des notifications reçues, cela en vue de maîtriser effectivement la concentration des terres mais aussi d’assurer une observation exhaustive des échanges fonciers à l’échelle du pays.

Le gel du stock de terres publiques dans la perspective d’une reprivatisation des terres d’Etat, procède d’un problème ancien, laissé en suspens depuis la chute du communisme, étroitement lié aux lacunes globales du cadastre, et au flou entourant certains titres de propriété.

La politique des structures doit également composer avec la forte hétérogénéité régionale des structures d’exploitations, héritées des différentes phases d’occupation étrangère, des réformes agraires successives, des déplacements de frontières et du processus de collectivisation des terres initié au sortir de la 2ème guerre mondiale : de cette histoire complexe découle une concentration du foncier hétérogène d’une région à l’autre (cf. figure 23). Les mécanismes européens, aussi bien du 1er que du 2ème pilier, ont à ce jour faiblement réussi à atténuer ces contrastes régionaux.

Enfin il convient d’attirer l’attention sur la diminution des terres agricoles : une partie d’entre elle est reboisée, une autre fait l’objet de fortes pressions pour le changement d’usage. Les collectivités territoriales doivent tenir compte clairement de cette ressource précieuse et non renouvelable dans leur document d’urbanisme pour éviter que les logiques urbaines ne viennent s’imposer progressivement aux stratégies de développement des exploitations. La hausse des prix est fortement amplifiée dans certaines zones périurbaines provoquant des effets d’aubaine en lieu et place des stratégies traditionnelles de transmission familiale du patrimoine et de diversification des revenus.

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