français | español | english
Online Knowledge Base
Natural Resource Governance around the World

La controverse autour de la ferme des 1000 vaches : c’est d’un autre modèle de développement, reposant sur l’agriculture familiale et l’agro-écologie, dont nous avons besoin! (Ed. # 23)

En France, une exploitation agricole sur quatre est une ferme laitière. Avec 49 vaches pour un troupeau moyen, 2 personnes travaillant sur une ferme et 7 emplois induits, la ferme française est restée à taille humaine, grâce aux politiques agricoles et foncières de l’après guerre. La Surface Agricole Utile moyenne est de 95 ha, dont 69% de surfaces fourragères. Réparties sur tout le pays, les fermes françaises participent au maintien de l’économie, de l’emploi, et aussi des paysages en milieu rural.

Pourtant, on observe une baisse continue et relativement régulière du nombre d’exploitations laitières en France depuis 1984 et l’instauration des quotas laitiers. La hausse de la référence moyenne par exploitation s’accélère ces dernières années. De 318 477 litres au niveau national en 2010, cette moyenne masque une très forte hétérogénéité, la référence pouvant atteindre jusqu’à plus de 2 millions de litres dans certaines exploitations.

Jusqu’où cette restructuration peut-elle aller ? En 2005, les références moyennes dépassaient déjà 700 000 litres par exploitation au Danemark et au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, plus de 50 % de la production est réalisée dans des exploitations de plus de 500 vaches et de nombreuses exploitations de plus de 1000 vaches ont été mises en place. L’horizon où des rendements décroissants viendraient limiter la taille optimale des exploitations semble constamment s’éloigner.

Et c’est là qu’il faut replacer le projet de ferme des 1000 vaches, en rupture avec le modèle français d’agriculture familiale. Le promoteur du projet est un entrepreneur à la tête d’un groupe du BTP (bâtiment et travaux publics). Lui-même et sa famille, qui détiennent 100% de l’entreprise, sont classés par le magazine Challenges dans les 400 premières fortunes françaises.

Le projet résulte de l’association de producteurs pour mettre en commun leurs quotas laitiers et constituer progressivement le futur cheptel laitier. La ferme se situe près d’Abbeville dans la Somme. C’est une étable construite pour mille vaches laitières, associée à un bâtiment pour loger les 750 génisses de renouvellement du troupeau. Elle produirait du lait à un prix cassé, et les déjections iraient servir de carburant dans un énorme méthaniseur les transformant en gaz. Le digestat (résidu de la méthanisation) serait épandu sur près de trois mille hectares de terres.

Les motifs pour s’opposer à ce projet ne manquent pas. Selon la Confédération paysanne : Ce système fait pression sur les terres, avec pour conséquence de geler le marché foncier et d’empêcher les installations de jeunes agriculteurs. Le lait produit est annoncé à 270 € la tonne, alors que le prix actuel est de l’ordre de 350 € et que les exploitants laitiers sont dans une situation très difficile. Ce nouveau prix accroîtrait encore la pression économique et ferait disparaitre de nombreuses exploitations qui ne pourront pas résister à cette concurrence. L’effet sur l’emploi serait négatif : une dizaine d’emplois créés alors qu’un nombre équivalent de vaches laitières en système traditionnel nécessiterait plus de 40 emplois. Le digestat liquide répandu sur les champs alentour pourrait être entraîné vers la mer par le ruissellement, et atteindre notamment la Baie de Somme, un espace naturel encore indemne et qui abrite la réserve de Marquenterre. Le bien-être des vaches sera un vœu pieux. Pour éviter les épidémies dans un troupeau aussi concentré, il faudra user largement d’antibiotiques et d’autres médicaments. La rentabilité du projet dépend largement d’aides publiques : prix subventionné du rachat du biogaz produit par le méthaniseur ; aides à l’investissement de construction du méthaniseur ; primes agricoles dans le cadre de la PAC ; attribution de marchés publics de collecte des déchets verts. A terme, en France, 2.500 fermes usines pourraient produire autant que les 75.000 fermes laitières actuelles.

L’association de riverains baptisée Novissen (Nos villages se soucient de leur environnement) mène une campagne contre ce qu’elle appelle la ferme usine. Ses arguments rejoignent ceux de la Confédération Paysanne, tout en insistant évidemment sur les conséquences pour l’environnement, la santé humaine et animale.

On est à l’opposé de l’agriculture agro-écologique dans la mesure où celle-ci n’est pas fondée sur des intrants, mais sur des interactions entre tous les organismes vivants qui constituent un écosystème. Dans le cas de la ferme des 1000 vaches, au contraire, l’exploitation est très peu en lien avec son milieu, les animaux en « zéro pâturage » sont loin des conditions de bien être et l’exploitation aura recours à des importations massives d’aliments du bétail.

Saisi notamment par la Confédération paysanne et Novissen, le tribunal administratif d’Amiens a finalement validé le projet. Le permis d’exploitation n’autorise pour l’instant que 500 vaches laitières, plus quelques centaines de génisses. Les installations ont cependant été dimensionnées pour accueillir 1000 vaches en cas d’autorisation d’agrandissement, qui dépendra notamment du plan d’épandage des déchets de la ferme. Les 150 premières vaches sont arrivées en septembre 2014 et la première traite a eu lieu le samedi 13 septembre.

Le projet de ferme des 1000 vaches nous alerte. Il est temps en France de s’interroger sur le modèle de développement agricole souhaitable pour le futur et sur les politiques agricoles adéquates pour le promouvoir.

Cette interrogation est nécessaire dans beaucoup d’autres pays. Le Forum Mondial pour l’Accès à la Terre (FMAT 2015) aura pour objet de faire échanger gouvernements et organisations de la société civile de l’accès à la terre au bénéfice des petits producteurs et de l’agriculture familiale (Cf. www.agter.asso.fr/IMG/pdf/fm…). Mais ce pourrait être aussi une formidable opportunité de débattre sur l’agriculture que nous souhaitons pour la France !

Jacques Loyat est membre d’AGTER et IGGREF honoraire. Chercheur associé au Cirad, Jacques Loyat e été à l’origine du projet d’Observatoire des Agricultures du Monde (World Agriculture Watch), actuellement porté par la FAO. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur l’agriculture et les politiques agricoles, dont le dernier en date : Agricultures du monde, Les questions qui font peur, les solutions pour agir durablement , Editions France Agricole, 2013.

Divers

La Confédération paysanne appelle à une mobilisation collective le 28 octobre 2014, en soutien des neuf militants de la Conf’ poursuivis suite aux actions menées sur le site de l’usine des 1000 vaches et appelés à comparaître devant le tribunal d’Amiens ce même jour.

La Confédération paysanne dénonce la volonté de criminaliser l’action syndicale que cette action légale poursuit, en laissant Michel Ramery continuer son projet en toute impunité.

Top