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Natural Resource Governance around the World

English version: The combat against desertification under the threat of international finance. (Ed. # 46)

La lutte contre la désertification sous la menace de la finance internationale (Ed. # 46)

Éditorial de la lettre d’information du réseau AGTER. Septembre 2019

C’est en 2014 que Sandrine Feydel et Denis Delestrac ont attiré l’attention du grand public européen sur les dangers de la financiarisation de la nature dans l’excellent documentaire “Nature, nouvel eldorado de la finance” diffusé par ARTE.

Combien vaut la nature ? Combien peut-elle rapporter ? La course au profit généralisé et le marché global ont largement contribué à la crise écologique actuelle. Pourtant, les mondes de l’économie et de la finance prétendent renverser la tendance et sauver la planète en la protégeant à leur façon, c’est-à-dire avec de l’argent. C’est bien l’émergence d’un nouveau marché, celui de la protection environnementale” (Source: Nature, nouvel eldorado de la finance).

Que les spéculateurs soient avides d’exploiter de nouveaux filons n’étonnera personne. En revanche, que les gouvernements de la majorité des Etats de la planète valident leurs thèses et les appellent à la rescousse pour sauver les terres agricoles est extrêmement préoccupant.

En effet, lors de la 14ème Conférence des Parties (COP14) de la Convention des Nations Unies sur la Lutte Contre la Désertification (UNCCD) qui s’est tenue à New Delhi en septembre 2019, sont de nouveau apparues dans les textes officiels des injonctions claires en faveur de la mobilisation d’investisseurs privés pour faire face au désastre croissant de la dégradation des terres agricoles dans le monde. Parmi les nombreux objectifs retenus, il s’agit notamment “d’encourager le secteur privé à investir de façon responsable et durable dans la remise en état, la conservation et la bonification des terres et dans le développement des moyens de subsistance, ainsi que d’étudier les moyens d’élaborer un modèle économique dans lequel des fonds publics pourraient entraîner un accroissement de l’investissement privé” (Source: UNCCD). Outre le risque de voir les fonds publics être subordonnés aux intérêts de grands investisseurs privés, il apparaît clairement que la Gestion Durable des Terres (GDT) est appelée à devenir un nouveau marché, une aubaine pour faire des profits. C’est ce que certains appellent  »impact investing« , une notion en apparence généreuse, qui en pratique, apporte des fonds publics au développement de grandes entreprises privées. (Source IFC)

A l’issue de cette conférence, les 196 Etats membres de la UNCCD se sont engagés à la Neutralité en matière de Dégradation des Terres (NDT), plus connue sous son appellation anglophone de Land Degradation Neutrality (LDN), d’ici 2030. Selon les propres termes utilisés lors de la COP14, il s’agit “de revoir les politiques de développement, y compris les politiques d’utilisation des terres et les pratiques agricoles, afin de promouvoir une régénération écologique à grande échelle”, mais aussi de “suivre les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts pour gérer les effets des mesures de NDT sur les régimes fonciers” et enfin,  »d’inscrire la sécurité́ foncière dans les stratégies nationales pour atteindre la NDT” (source: UNCCD). Que vaudront ces beaux principes, dès lors que la responsabilité de la financiarisation de l’agriculture dans les processus d’exclusion des paysanneries et de dégradation des terres (par la déforestation pour les plantations, via l’agriculture intensive) n’est pas reconnue, et que cette même financiarisation est promue comme une des solutions ? Quels seront les modalités de rentabilisation des capitaux investis et comment peuvent-ils être compatibles avec cet appel à la sécurisation foncière des agriculteurs ?

Il est frappant que la question de l’insécurité foncière se soit retrouvée de fait au centre de la réflexion menée durant la COP14, alors que la question majeure de l’accès insuffisant au foncier agricole pour les paysans n’est pas mise en évidence. Comment ignorer que le scandale insupportable de la faim pour près de 2 milliards d’individus (ceux qui ont faim tous les jours comme ceux qui n’arrivent pas à se nourrir en fonction de leurs besoins) est étroitement lié à un accès inéquitable de la terre pour les paysans? En effet, les ¾ de ceux qui souffrent de la faim sont des familles paysannes, avec un accès nul ou insuffisant à la terre. La COP14 a donc mis en avant l’insécurité foncière sans inclure la brûlante question des inégalités dans l’accès au foncier.

Philippe Lavigne Delville, directeur de recherches à l’IRD et membre d’AGTER, récemment invité dans l’émission “C’est pas du vent” d’Anne Cécile Bras sur RFI (voir article ci-dessous) nous rappelle que “l’essentiel de l’investissement dans les terres agricoles est fait par les paysans, en travail plutôt qu’en capital ou en argent”, et que dès lors “qu’ils sont dans des conditions économiques viables, les agriculteurs sont les meilleurs protecteurs de la nature”.

Le raisonnement qui sous-tend la mobilisation de capitaux privés pour investir dans la remise en état de terres dégradées est celui de la concession foncière pour 20, 40, 50 ans ou plus afin ensuite de les louer à de nouveaux producteurs. Or, il est clair que “les taux de rentabilité que cherchent les investisseurs internationaux sont incompatibles avec ce qu’on peut attendre de contrats de location de terre à des paysans”. Cette nouvelle orientation, porte donc le risque d’amplifier l’accaparement des terres agricoles par un nombre toujours plus faible d’acteurs extérieurs au monde rural, ce qui ne manquera pas de renforcer  »la logique de dépossession des agriculteurs familiaux au profit d’une financiarisation de l’agriculture et de l’environnement« .

Denis Pommier est agroéconomiste. Il est membre fondateur d’AGTER.

DIVERS

En lien avec l’éditorial du mois de septembre, vous trouverez un article renvoyant vers l’intervention récente de Philippe Lavigne Delville sur RFI, ainsi que les traductions vers l’anglais de la synthèse de l’atelier de décembre 2017 sur la fixation du carbone dans les sols, et des conclusions de la table ronde qui y avait abordé les liens avec les politiques publiques (2 textes déjà disponibles en français sur www.agter.org).

Nous attirons particulièrement votre attention sur deux autres documents proposés ci dessous:

  • le premier résultat du chantier de réflexion mené en 2018 au sein du Comité technique Foncier et Développement sur l’évolution des structures agraires dans le monde et l’accès des jeunes à la terre, co-animé par AGTER: un numéro spécial de la revue Regards sur le foncier autour de l’accès des jeunes à la terre qui regroupe une revue bibliographique et 7 articles sur la gestion intrafamiliale du foncier.

  • la publication du livre de Dominique Potier, Pierre Blanc et Benoît Grimonprez La terre en commun.

Retrouvez ici la Lettre d’information du réseau AGTER du 24 septembre 2019

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