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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Pour une ré-orientation de la politique agricole française.

Les réponses de l’État à la crise agricole bénéficient plus aux grosses unités de production qu’aux petites.

Date de rédaction :

Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Type de document : Article de presse

Documents sources

Tribune d’un Collectif de représentants associatifs et syndicaux publiée dans le Journal Le Monde du 05 février 2024. [www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/04/les-reponses-de-l-etat-a-la-crise-agricole-beneficient-plus-aux-grosses-unites-de-production-qu-aux-petites_6214734_3232.html]

Résumé

À l’initiative d’AGTER et en lien avec des réflexions menées au sein de la Coalition Foncier et du Collectif Nourrir, plus de 50 acteurs majeurs du monde associatif et agricole et des universitaires ont signé une tribune parue dans le journal Le Monde du 5 février 2024 en réponse à la crise du monde agricole et du projet de loi d’orientation agricole du gouvernement.

Le Journal Le Monde a autorisé la reprise du texte de cette tribune sur les sites web des signataires.

Seule une réorientation de la politique agricole, européenne et nationale, apportera des réponses durables à la crise, affirme, dans une tribune au « Monde », un collectif de représentants associatifs et syndicaux, dont Cécile Duflot, d’Oxfam France, et Laurence Marandola, de la Confédération paysanne.

Les réponses de l’État à la crise agricole bénéficient plus aux grosses unités de production qu’aux petites. Tribune. Le Monde. 05/02/2024. Article réservé aux abonnés.

L’agriculture est en crise. La colère des agriculteurs révèle des situations de détresse et de souffrance d’origines diverses et variées tant le monde agricole est hétérogène, que ce soit du point de vue des revenus, de l’endettement, des conditions de travail.

Face à ces crises sociales récurrentes, l’Etat répond généralement, en ce début de mois de février, par des mesures fiscales, des allégements de charges et de normes, des mesures de soutien des prix agricoles. Si ces mesures semblent profiter à tout le monde, les plus grosses unités de production en bénéficient plus que les petites ; les premières continuent alors de « dévorer » les secondes.

Les plus grosses exploitations s’orientent vers un modèle agro-industriel : une agriculture de firme qui privilégie le plus souvent des systèmes de production simplifiés, standardisés, fortement mécanisés et automatisés. Ce modèle repose sur la monoculture, sur des parcelles de plus en plus grandes, sans arbres, sans haies, sur le recours excessif à des engrais de synthèse et à des pesticides au détriment des écosystèmes, de la diversité agricole et biologique, et de la qualité des sols et de l’eau. Il concentre la production dans des bâtiments de plus en plus grands et y réduit le vivant à une machine à produire du lait, de la viande, des œufs ou des fruits et légumes sans saveur au lourd bilan carbone. Il conduit à l’émergence d’une agriculture sans agriculteur au profit d’actionnaires intéressés par la rentabilité de leurs capitaux.

Refonder le système de rémunération

De fait, de plus en plus d’exploitations sont contrôlées par des actionnaires non agriculteurs. En conséquence, une part croissante des aides de la politique agricole commune, destinées aux travailleurs agricoles selon les textes de l’Union européenne, est distribuée à des personnes qui n’en sont pas. Cette agriculture de firme, principalement tournée vers l’export, gagne du terrain partout dans le monde à la faveur des accords de libre-échange et entraîne la réduction du nombre d’actifs agricoles, l’exode rural et l’appauvrissement des campagnes. Elle concentre et délocalise les productions au détriment des agricultures familiales et paysannes et de la souveraineté alimentaire, au nord comme au sud. De plus, elle se développe au détriment du climat, de la biodiversité, de la diversité des paysages et de la santé de tous.

Au regard de la diversité des agricultures, le système de rémunération du travail des agriculteurs doit être refondé pour tenir compte des coûts de production, qui diffèrent largement selon la taille des unités de production et selon les pratiques agricoles, et pour les protéger des divers impacts du dérèglement climatique. Par exemple, les aides à l’hectare doivent être abandonnées pour des aides plafonnées à l’actif ; le soutien à l’agriculture biologique doit permettre non seulement son maintien, mais bien son expansion. De telles mesures augmenteraient le taux de reprise des unités familiales et participeraient au renouvellement des générations, objectif que le gouvernement affiche sans se donner les moyens de l’atteindre.

Pour réussir ce renouvellement des générations, une politique structurelle digne de ce nom doit être menée pour orienter les terres vers les candidats à l’installation et les plus petits agriculteurs, et vers des pratiques agroécologiques. Les modalités d’accès à la terre, principal obstacle à l’installation, en particulier pour celles et ceux qui ne sont pas fils ou fille d’agriculteur, doivent être mieux régulées. L’attribution des terres doit s’opérer au profit d’agriculteurs en tant que personnes physiques, quels que soient le mode d’accès à la terre et le statut des unités de production.

La concentration foncière sous-estimée

Cette politique rénovée suppose de connaître les unités de production, ce qui est loin d’être le cas. [En 2022, la presse ne découvre-t-elle pas, dans la Vienne, qu’une unité de 2121 hectares rassemble 12 « exploitations administratives » ?] 1 Les données officielles elles-mêmes sous-estiment la concentration foncière. Un registre des unités de production doit être établi et permettre de distinguer, parmi leurs propriétaires, les investisseurs qui ne participent pas aux travaux agricoles et les véritables agriculteurs.

Cette politique suppose également la révision des « schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles ». Ceux-ci doivent prioriser, sur l’ensemble du territoire, des installations qui créent de l’emploi et de la valeur ajoutée par unité de surface, qui soient économes en intrants de synthèse, ayant des productions diversifiées et des pratiques agroécologiques et/ou celles de l’agriculture biologique. Cette régulation permettrait de passer du discours aux actes au bénéfice des producteurs et de toute la population, par exemple en reconstituant les ceintures maraîchères et fruitières autour des villes, dans le cadre de projets alimentaires territoriaux des collectivités.

Une telle régulation suppose un observatoire opérationnel des marchés fonciers qui assure la collecte et la publicité des projets de location, de vente de terres et d’actions des sociétés agricoles. Il veillera aussi aux modalités de délivrance des autorisations d’exploiter (qui constitue la base de la politique des structures), plus transparentes et participatives.

Ces autorisations doivent s’appuyer sur un critère de surface maximale (pondérée selon les productions) par agriculteur, que ce soit pour la location, l’achat de terres ou de parts sociales, et sur l’avis de commissions foncières départementales et locales. Celles-ci seront composées de représentants des agriculteurs, des collectivités locales, des associations environnementales, de consommateurs et d’associations citoyennes impliquées dans l’agriculture et l’alimentation. Cette politique va de pair avec une reconnaissance de la diversité des structures d’accompagnement à l’installation.

Réussir le renouvellement des générations en agriculture et l’indispensable transition écologique impose de réorienter la politique agricole tant européenne que nationale. Seule cette réorientation apportera des réponses durables aux crises agricoles.

Liste des premiers signataires :

  • Bukhari-de-Pontual, Sylvie - présidente du CCFD-TS ;

  • Chevassus-au-Louis, Bernard - président d’Humanité et biodiversité ;

  • Clément-Grandcourt, Stéphanie - directrice générale de la Fondation pour la nature et l’homme ;

  • Cochet, Hubert - professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech ;

  • Duflot, Cécile - directrice générale d’Oxfam France ;

  • Gaiji, Khaled -président des Amis de la Terre France ;

  • Gatet, Antoine - président de France Nature Environnement ;

  • Grimonprez, Benoît - professeur à l’université de Poitiers et chercheur en droit rural et de l’environnement ;

  • Julliard Jean-François - directeur général de Greenpeace France ;

  • Levesque Robert - président d’Agter (pour l’Amélioration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles) ;

  • Marandola, Laurence - porte-parole nationale de la Confédération paysanne ;

  • Reder, Paul - président de la Fédération associative pour le développement de l’emploi agricole et rural ;

  • Testart Alain - secrétaire national à la Fédération nationale de l’agriculture biologique ;

  • Weber, Michaël - président de la Fédération des parcs naturels régionaux de France.

Autres signataires :

  • Apollin Frédéric - AVSF Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières - Directeur Général de AVSF

  • Arnaud Luc - GRET - Directeur Général du GRET

  • Auzeral Bertrand - Bee Friendly - Président de Bee Friendly et apiculteur professionnel

  • Azan Jean - Ami.e.s de la Confédération paysanne - Représentant des Ami.e.s de la Confédération paysanne

  • Bausson Jean-Luc - Chrétiens Dans Monde Rural - Co-président des Chrétiens dans le Monde Rural

  • Bernard Geneviève - Terre de Liens - Présidente de la Fédération nationale Terre de Liens

  • Boulongne Evelyne - MIRAMAP Mouvement inter-régional des AMAP - Administratrice et porte-parole de MIRAMAP

  • Castellanet Christian - AGTER/GRET - Ancien directeur scientifique du GRET et membre d’AGTER

  • Chevalier Margot - Chrétiens Dans Monde Rural - Co-présidente des Chrétiens dans le Monde Rural

  • Cicolella André - Réseau Environnement Santé - Président du Réseau Environnement Santé

  • Clément-Grandcourt Stéphanie - Fondation pour la Nature et l’Homme - Directrice Générale de la Fondation pour la Nature et l’Homme

  • Cohen Sarah - ISF Agrista - Co-présidente de ISF Agrista et ingénieure agronome

  • Couture Jean-Louis – Agroéconomiste, expert international en gestion des ressources et évaluateur de projets européens et AFD

  • Cras Yvon - Action Aid - peuple solidaire - Délégué d’Action Aid

  • David Vincent - Max Havelaar France - Président de Max Havelaar France

  • de Saint Sauveur Armelle - Slow Food France - Membre du Comité d’action Biodiversité de Slow Food France

  • Froitier Lucile - WWOOF World-Wide Opportunities on Organic Farms - Présidente de WWOOF et ouvrière agricole

  • Ghesquière Quentin - Oxfam France - Chargé de campagne et plaidoyer Sécurité Alimentaire à Oxfam France

  • Godard Jacques - SOL Alternatives Agroécologiques et Solidaires - Co-président de SOL

  • Hirou Philippe - Afac-Agroforesteries - Président de l’Afac-Agroforesteries

  • Husset Marie-Jeanne - Agir pour l’environnement - Présidente d’Agir pour l’environnement

  • Kieffer Julien - RENETA Réseau national des espaces-test agricoles - Co-président de RENETA

  • Kien Julien - Bio Consom’acteurs - Président de Bio Consom’acteurs

  • Largeaud Amandine - RENETA Réseau national des espaces-test agricoles - Co-président de RENETA

  • Lauverjat Nadine - Générations Futures - Déléguée Générale de Génération Futures

  • Leloup Lucie - Collectif Les Pieds dans le Plat - Co-présidente du Collectif Les Pieds dans le Plat - Fille de paysan bio

  • Lépine Christophe – FCEN Fédération des Conservatoires d’espaces naturels - Président de la FCEN

  • Leras Gérard - Ancien vice-président de la région Rhône-Alpes

  • Lespagnol Patrick - MABD Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique - Président du Mouvement de l’Agriculture Bio-dynamique

  • Levard Laurent - Agro-economiste

  • Loyat Jacques - Ingénieur général honoraire du Génie rural des eaux et des forêts

  • Melot Romain - Directeur de recherche à l’INRAE

  • Mouchard Hervé - Collectif Les Pieds dans le Plat - Co-président du Collectif Les Pieds dans le Plat - Fils de paysans bio

  • Muret Cécile - Confédération paysanne - Responsable de la commission foncier de la Confédération paysanne

  • Perrin Coline - Directrice de recherche en géographie à l’INRAE

  • Picard Alice - Attac France - Porte-parole d’Attac France

  • Pons Christian - UNAF Union Nationale de l’Apiculture Française - Président de l’UNAF

  • Rousselet Vincent - Bio Equitable en France - Directeur de Bio Equitable en France

  • Rousselot-Pailley Manon - MRJC Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne - Présidente du MRJC

  • Savy Yvan - CIWF - Directeur de CIWF France

  • Taisne Anne-Françoise - CFSI Comité Français pour la Solidarité Internationale - Déléguée générale du Comité Français pour la Solidarité Internationale

  • Tavernier Boris - Vrac Vers un Réseau d’Achat en Commun - Délégué Général de Vrac

  • Testard Alan - FNAB Fédération Nationale d’Agriculture Biologique - Secrétaire national Installation Transmission de la FNAB et Référent professionnel en charge du foncier

  • Tissier José - Commerce Equitable France - Président de Commerce Equitable France

  • Vergati Samanta - Altrimenti - Fondatrice et Directrice Générale de Altrimenti

  • Vernet Françoise - Terre & Humanisme - Présidente de Terre & Humanisme

  • Verzotti Nicolas - Réseau Civam - Vice-Président de Réseau Civam et maraîcher dans le Vaucluse

  • Zuccolo Ghislain - Welfarm - Directeur général de Welfarm

Retrouvez des documents pour aller plus loin ici

1 Phrase retirée de la version publiée par le journal Le Monde, mais qui figurait dans la version approuvée par les signataires.