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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Comment protéger efficacement nos forêts sans renforcer les pressions commerciales sur la terre?

Les marchés carbone en question

Rédigé par : Clara Jamart

Date de rédaction :

Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Type de document : Article / document de vulgarisation

Documents sources

Gardette Yves-Marie (ONF international), Locatelli Bruno (CIRAD), Les marchés du carbone forestier, Comment un projet forestier peut-il vendre des crédits carbone ?, mai 2007.

Dans le cadre des négociations internationales visant à réduire les émissions de CO2 et à lutter contre le réchauffement climatique, la gestion des espaces forestiers de la planète se trouve souvent au cœur des débats.

Le protocole de Kyoto incite les pays développés (pays dits « de l’annexe 1 ») qui ont pris des engagements contraignants en termes de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre à préserver ou à accroître leurs forêts. D’autre part, ces pays (et les industries nationales associées) peuvent réaliser, dans les pays du sud, des plantations d’arbres afin d’obtenir des crédits carbone dans le cadre du « Mécanisme de Développement Propre » (MDP). La création de nouveaux espaces forestiers, considérés comme des « puits carbone », compenserait en effet les émissions industrielles de ces pays, et créerait de nouveaux « droits à polluer », échangeables sur le marché des crédits carbone officiel. Parallèlement, les projets forestiers non réglementés par des protocoles internationaux permettent d’échanger des crédits carbone sur des marchés dits « volontaires ».

Plus récemment, et dans le cadre des négociations visant à préparer l’après Kyoto, les débats se sont focalisés sur la mise en place de nouveaux mécanismes qui permettraient de lutter contre le réchauffement climatique. Ces mécanismes de « déforestation évitée » consistent en fait à inciter les pays du Sud à conserver leurs forêts, en échange de compensations souvent financières. Ils permettent déjà d’échanger des crédits carbone sur les marchés volontaires de réduction d’émission. Si on ignore encore comment le mécanisme REDD (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation) sera intégré dans la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, plusieurs projets pilotes sont déjà en place, notamment dans l’état d’Amazonas, au Brésil, et permettent de questionner les enjeux majeurs de cette politique.

Que doit-on penser de ces deux mécanismes (création de puis carbone et déforestation évitée)? Sont-ils réellement efficaces pour lutter contre le processus de réchauffement climatique, ou détournent-ils les « vrais » pollueurs de leurs responsabilités? La création de « puits carbone » n’incite-t-elle pas les investisseurs privés et les industries polluantes des pays industrialisés à « s’approprier » d’une façon ou d’une autre d’immenses étendues de forêts dans les pays du Sud, aux dépends des populations qui y vivent? A favoriser la création de grandes plantations d’arbres en monoculture, participant ainsi à la dégradation de la biodiversité? D’autre part, les projets de « déforestation évitée » peuvent-ils réellement lutter contre les dynamiques parallèles qui incitent fortement à la déforestation (grandes exploitations de produits alimentaires ou d’agrocarburants)?

Les forêts stockent-elles réellement du carbone?

Petit rappel scientifique.

Pour bien comprendre le rôle des forêts dans la lutte contre le réchauffement climatique, il est nécessaire de revenir à l’essentiel, et de comprendre les phénomènes biologiques qui expliquent que les arbres puissent capter du carbone, mais aussi en rejeter dans l’atmosphère.

Les arbres, grâce au processus de photosynthèse, captent le CO2 de l’atmosphère, rejettent de l’oxygène, et fixent le carbone en l’utilisant pour synthétiser des molécules organiques qui vont leur permettre de se développer. Un arbre en croissance peut donc bel et bien être considéré comme un « puit de carbone ». En revanche, lorsqu’un arbre meurt et se décompose, il relâche le carbone qu’il avait stocké lors de sa phase de croissance et le libère dans l’air sous forme de CO2, en consommant de l’oxygène. Sur l’ensemble de sa durée de vie, un arbre présente donc un « bilan carbone » nul. C’est la même chose à l’échelle d’une forêt. Une forêt en croissance capte du CO2, une forêt mature capte autant de CO2 qu’elle n’en rejette , et une forêt qui meurt rejette du CO2.

Au niveau mondial, les « jeunes » forêts (en croissance) sont les grandes forêts tempérées d’Amérique du Nord, d’Europe et de Russie. Elles luttent efficacement contre le réchauffement climatique en captant une quantité de carbone loin d’être négligeable. En France par exemple, les forêts captent environs 12% des gaz à effet de serre émis par les activités humaines. Les forêts tropicales d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, quant à elles, sont des forêts matures dont le bilan carbone est nul. Elles représentent toutefois d’immenses « réserves » de carbone: déforester ces zones signifie donc relâcher dans l’atmosphère ces stocks de carbone sous forme de CO2. Les scientifiques estiment que les émissions de carbone dues à la déforestation constituent aujourd’hui près de 20% des émissions mondiales totales. Quant aux forêts qui se détériorent, ou, plus justement, aux arbres qui meurent et se décomposent, une seule solution pour éviter qu’ils ne rejettent du carbone dans l’atmosphère: valoriser le « produit bois », c’est-à-dire utiliser le bois comme matériau d’ameublement ou de construction, ce qui permet d’allonger la période de stockage du carbone de plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines d’années.

Comme le conclut Clément Chenost: « Une forêt luttant efficacement contre le changement climatique est donc une forêt « gérée » de manière durable, qui optimise la séquestration du carbone et la valorisation des produits bois1».

I. Planter des arbres pour lutter contre le réchauffement climatique: la reforestation comme création de « puits carbone ».

1.Les projets de boisement ou de reboisement

  • dans le cadre du MDP (sur le marché Kyoto)

Seules les activités de boisement ou de reboisement sont acceptées dans le cadre du MDP forestier. Cette décision, prise à Marrakech en 2001, écarte donc les activités de conservation ou de gestion forestière pour le première période d’engagement (2008-2012).

Boisement et reboisement sont définis comme des changements d’occupation du sol d’un couvert non forestier à un couvert forestier. On définit la forêt comme une terre d’une superficie minimale comprise entre 0,05 et 1 hectare, portant des arbres dont le houpier recouvre plus de 10 à 30% de la surface, et qui peuvent atteindre une hauteur minimale de 2 à 5m.

On appelle boisement la plantation d’une forêt sur un terrain qui n’a pas porté d’arbre depuis plus de 50 ans, et reboisement la plantation d’une forêt sur un terrain qui n’a pas porté d’arbre depuis moins de 50 ans. Dans tous les cas, pour être accepté dans le cadre du MDP, un projet de boisement ou de reboisement doit démontrer que le terrain ne portait pas de forêt à la date du 31 décembre 1989 et jusqu’à la date de démarrage du projet.

Comme nous l’avons rappelé dans le petit encadré introductif, le carbone stocké dans une forêt n’y est pas stocké de manière permanente, et peut être relâché dans l’atmosphère. Les crédits carbone accordés en échange d’un projet de boisement ou de reboisement dans le cadre du MDP sont donc des crédits temporaires, contrairement aux crédits (permanents) accordés aux projets qui réduisent directement leurs émissions de gaz à effet de serre.

D’autre part, l’usage des crédits forestiers pour les pays de l’annexe 1 est limité. Pour chaque année de la période d’engagement, un pays ne peut recourir à des crédits forestiers que pour moins de 1% des émissions de l’année de référence (1990).

  • sur les marchés volontaires

Le marché volontaire, ou marché de la compensation, est un marché sur lequel des entreprises ou des particuliers achètent des réductions d’émissions pour compenser ou « neutraliser » leurs impacts sur le climat, pour des raisons éthiques ou pour des raisons de marketing environnemental.

Les marchés volontaires peuvent être reliés aux marchés d’engagement (marchés de Kyoto) puisque les entreprises ou les particuliers peuvent choisir d’acheter des crédits provenant des marchés d’engagement (comme par exemple les quotas du marché européen ou les crédits des projets MDP). Cependant, dans la plupart des cas, les crédits échangés sur les marchés volontaires obéissent à des modalités, des procédures et des standards indépendants (quand ils existent). Les crédits utilisés sur les marchés volontaires ne sont donc pas utilisables sur les marchés réglementés d’engagement.

Les principaux offreurs de crédits sur les marchés volontaires proposent de calculer puis de compenser les émissions des entreprise ou des particuliers en achetant des crédits qui servent à financer des projets de réduction d’émission, ou, le plus souvent, de séquestration de carbone (projets de boisement ou de reboisement). D’autre part, les marchés volontaires proposent des crédits issus de projets de « déforestation évitée » (voir partie II) alors que ces projets sont toujours en discussion dans le cadre des négociations internationales officielles. Ils ne sont pas non plus soumis aux critères de localisation définis à Kyoto: les projets de boisement ou de reboisement donnant lieu à l’émission de crédits carbone peuvent avoir lieu dans les pays industrialisés comme dans les pays du Sud.

Même si ces marchés volontaires sont encore restreints, ils connaissent une très forte croissance. De plus, le poids des projets forestiers dans les marchés volontaires (56% en 2006) est incomparable au poids des projets forestiers dans le cadre du MDP (environs1%).

L’étude de Yves-Marie Gardette (ONF international) et de Bruno Locatelli (CIRAD)2 présente une localisation des projets forestiers volontaires. Sur 172 projets recensés, 65,7% sont situés dans les pays de l’annexe 1 et 34,3% dans les autres pays. Au total, près de 30% des projets recensés sont localisés aux Etats-Unis (pays qui n’a pas ratifié le protocole de Kyoto), près de 20% sont localisés en Europe (principalement en Allemagne et au Royaume-Uni), 16% en Amérique latine (principalement au Brésil, en Equateur, en Argentine et au Mexique), 14% en Australie (pays qui n’a pas ratifié le protocole de Kyoto) et 11% en Asie (principalement en Inde et en Malaisie). En parallèle, il convient de remarquer que sur 71 fournisseurs de crédits sur les marchés volontaires recensés par cette étude, un seul se situe dans un pays du Sud, le Brésil. 34% d’entre eux sont américains, et 31% sont européens.

2.Les puits carbone: une vraie bonne idée scientifique?

Les forêts, dans le cadre du MDP, ou sur les marchés volontaires, peuvent donc être utilisées pour compenser les émissions de gaz à effet de serre et créer des crédits échangeables sur les marchés carbone. Toutefois, les ONG environnementalistes ont souvent défendu le point de vue selon lequel « les projets de puits carbone, provisoires, ne devraient pas pouvoir être mis en œuvre pour compenser les émissions permanentes de combustibles fossiles, et ce, en raison des risques de relargage du CO2 stocké »3.

Cette position semble légitimée par plusieurs études scientifiques 4 qui prouvent que les forêts ne contribuent pas autant que ce que l’on pourrait penser à la réduction des gaz à effet de serre. En effet, comme nous l’avons rappelé dans l’encadré préliminaire, les arbres ont un bilan carbone nul à l’échelle de leur vie. S’ils captent du carbone (dans des proportions difficilement quantifiables) pendant leur phase de croissance, ils en rejettent lorsqu’ils meurent et se décomposent ou sont brûlés (naturellement, ou sous l’effet des activités humaines). De plus, une étude menée par l’Université de Californie5 prouve que des émissions croissantes de CO2 affectent directement la capacité de stockage des réservoirs naturels de carbone (océans et biosphère). Plus les émissions de CO2 augmenteront, moins les puits carbone en général, et les forêts en particulier, seront capables d’en absorber.

Parallèlement, de nombreux scientifiques rappellent que les forêts, comme l’ensemble de la biosphère, sont directement confrontées aux impacts des changements climatiques en cours. Les risques d’incendies augmentent en même temps que les risques de sécheresse, les inondations sont de plus en plus fréquentes et dévastatrices, et les menaces liées aux maladies et aux insectes croissent au fur et à mesure que les températures augmentent.

Les projets « puits de carbone » n’offrent donc aucun avantage réel à long terme pour le climat: le carbone stocké par les arbres dans des projets de reforestation n’est pas stocké durablement. Comme l’affirme le Réseau Action Climat6, « les puits biologiques sont réversibles, c’est-à-dire qu’ils peuvent devenir sources d’émissions pour une multitude de raisons, y compris à cause du changement climatique lui-même. Les incendies, les attaques de parasites et le besoin croissant de terres agricoles sont susceptibles de transformer les puits d’aujourd’hui en sources demain. En outre, alors que les absorptions de carbone sont lentes, les émissions sont généralement rapides, augmentant le risque de rejets rapides de quantités significatives de carbone dans l’atmosphère».

Au final, les projets de boisement ou de reboisement, qu’ils soient intégrés à des marchés réglementés ou non, semblent être une fausse bonne réponse aux défis du réchauffement climatique qui se présentent aujourd’hui à l’ensemble de l’humanité. Pire, ils pourraient détourner l’attention et aider les « vrais » pollueurs à ne pas assumer leurs responsabilités en réduisant, purement et simplement, leur consommation d’énergies fossiles.

3.Les risques politiques et environnementaux

En plus de n’apporter aucun avantage réel dans la lutte contre le réchauffement climatique, les projets de puits carbone peuvent nuire à la conservation de la biodiversité. En effet, il est particulièrement tentant pour les pays industrialisés ou leurs industries d’investir dans des projets de reforestation au Sud qui se résumeraient en réalité à la plantation à bas coûts, sur de grandes surfaces, d’arbres à potentiel élevé de séquestration. Ces projets ne sont d’aucune utilité en termes de protection de la biodiversité ou de résilience des écosystèmes.

Par ailleurs, ces projets de reforestation nécessitent pour les investisseurs d’acquérir des droits sur les surfaces à reboiser. Les terres sur lesquelles des plantations sont établies dans le cadre du MDP sont donc le plus souvent des terres sujettes à des conflits de propriété non résolus, ou des terres sur lesquels s’exerçaient des droits coutumiers non reconnus par le droit positif. L’établissement de projets de reforestation dans le cadre du MDP favorise donc directement l’exclusion des populations paysannes qui cultivaient les terres avant l’investissement, et la négation de leurs droits formels ou coutumiers.

Enfin, l’inclusion des projets puits de carbone aux mécanismes du MDP est souvent soupçonnée de réduire de manière significative les incitations aux transferts de technologies qui permettraient de réduire les émissions à la source.

II. Préserver les forêts pour lutter contre le réchauffement climatique: la déforestation évitée.

1.Lutter contre la déforestation dans le cadre des accords internationaux pour la lutte contre le changement climatique: la naissance du mécanisme REDD.

Pour le moment, la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) ne prévoit aucun instrument de lutte contre la déforestation. Seules les activités de boisement ou de reboisement sont éligibles aux Mécanisme de Développement Propre du protocole de Kyoto. Pourtant, on estime aujourd’hui que 17% des émissions de CO2 seraient dues aux activités de déforestation, plaçant le secteur « forêt » à la troisième place des émissions de gaz à effet de serre après les secteurs de l’énergie et de l’industrie.7

La « déforestation évitée » a été exclue du protocole de Kyoto pour deux principales raisons. D’abord, parce qu’une partie des pays en développement redoutait de perdre leur souveraineté sur une grande partie de leur territoire. Ensuite, parce que la déforestation évitée pourrait favoriser la création sur les marchés carbone d’un très grand nombre de crédits à bas prix, qui n’encourageraient pas les pays de l’Annexe 1 à véritablement réduire leurs émissions.

Toutefois, lors de la 11ème conférence des parties qui s’est tenue à Montréal en 2005, le Costa Rica et la Papouasie Nouvelle Guinée ont proposé d’inclure dans le cadre de la Convention Climat des incitations pour réduire le processus de déforestation tropicale. Plusieurs propositions ont donc été étudiées, à différentes reprises, afin d’arriver à un accord international sur l’inclusion des projets de déforestation évitée dans le cadre de la CCNUCC après 2012 (fin de la première période d’engagement du protocole de Kyoto).

Pour le moment, la position des pays du Sud n’est toujours pas unitaire. Les pays membres de la Coalition for Rainforest Nations (CfRN)8 militent plutôt pour que les mécanismes d’incitations positives soient mis en relation avec les engagements des pays du Nord dans le cadre du protocole de Kyoto. Ils sont donc favorables à la mise en place d’un système de marché, dans lequel des crédits carbones issus de la déforestation évitée seraient échangeables au niveau international. Les pays du Bassin du Congo défendent à peu près la même position, si ce n’est qu’ils mettent l’accent sur la dégradation des massifs forestiers, et pas seulement sur la déforestation en elle-même.

 

Le Brésil, au contraire, milite pour que ces mécanismes d’incitation positive ne soient pas liés aux engagements des pays de l’Annexe 1, et à un quelconque système de marché. Il propose la mise en place d’un fonds auxquels les pays du Sud pourraient adhérer volontairement, et qui permettrait de récompenser les efforts de certains pays (les efforts étant calculés en fonction d’un taux de déforestation de référence et du taux de déforestation réel). Le Brésil, comme les pays de la CfRN, n’est pas favorable à la prise en compte des processus de dégradation des forêts.

Les autres pays d’Amérique latine jouent la carte de la diversité des instruments à mettre en oeuvre, et proposent à la fois la création d’un fonds carbone (alimenté par un système de taxes à définir), la mise en place d’un fonds de renforcement des capacités (alimenté par des fonds de coopération et d’aide au développement) qui lanceraient des projets pilotes, et la mise en place d’instruments de marché reliés aux engagements des pays du Nord et pouvant s’inscrire dans le cadre du MDP existant.

Quoi qu’il en soit, dans le cadre du Plan d’action Bali, approuvé lors de la Conférence de Bali en Décembre 2007, les pays ont décidé d’inclure la « réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts » (REDD) dans le processus de négociation sur le nouvel accord international sur le climat après 2012.

2.La déforestation évitée: des mécanismes déjà mis en œuvre

Le thème de la déforestation évitée est donc rouvert à la négociation depuis 2005, et la façon dont il sera intégré aux accord internationaux sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la fin de la première période d’engagement du protocole de Kyoto reste floue. Cependant, des expériences pilotes sont déjà en cours dans différents pays depuis plus de 10 ans. Le rapport de Yves-Marie Gardette et de Bruno Locatelli (voir note 2) en ressence plusieurs, dont l’expérience du Bio Carbon Fund et le projet Noël Kempff. Ce dernier, mis en place en Bolivie dès 1997 prévoit la réduction d’environs 17 millions de tonnes de CO2 sur 30 ans en travaillant à la protection du parc Noël Kempff (arrêt de la déforestation, extension des limites du parc et limitation des activités de culture sur brûlis). De façon plus officielle, le plan d’action Bali a prévu pour 2008 et 2009 la mise en place d’expériences pilotes qui permettraient de mieux définir les mécanismes REDD à instaurer après 2012. Il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer l’impact des ces projets pilotes officiels.

Mais l’exemple le plus intéressant, mis en place en dehors du cadre des négociations internationales, se situe peut-être dans l’Etat d’Amazonas, au Brésil9. Trois fois plus grand que la France, l’Etat d’Amazonas peut s’enorgueillir de ne connaître qu’un taux de déboisement de l’ordre de 2% de son territoire, contre 20% dans les Etats voisins du Para et du Rondônia. Cette situation est à mettre en relation avec l’absence de voies de communications terrestres, et aussi avec la priorité qui a été accordée au développement de la zone franche industrielle et commerciale de Manaus, qui a concentré les activités. Toutefois les fronts pionniers commencent à se développer aux marges de l’Etat. Le gouvernement a cherché à en freiner le développement en créant de nouvelles zones protégées (40% de la superficie de l’Etat, aujourd’hui, sous différents statuts).

Son gouverneur, Eduardo Braga, allié du président Lula da Silva, s’est fait élire en 2002 sous la bannière de « l’écologie citoyenne et responsable ». En 2003, il crée le programme « zone franche verte » qui a pour objectif de « soutenir la production forestière, agropastorale et la pêche, de manière écologiquement adéquate, socialement juste et économiquement viable ». Il s’agit de construire une alliance avec les petits exploitants forestiers et les populations locales, de modifier les règles d’exploitation de la forêt pour rendre celle-ci durable et transformer les habitants en ses principaux défenseurs. Toutefois, les moyens financiers manquent, et les rapports de force ne permettent pas d’aller suffisamment loin dans l’affectation des ressources publiques. Quelques années plus tard, un nouveau programme est mis en place, qui vise à faire de l’Etat un pionnier dans la lutte contre le réchauffement climatique et à capter des fonds sur la scène internationale.

La loi 3135 (votée en juin 2007) relative au changement climatique, à la préservation de l’environnement et au développement durable a donc créé un système de certification appelé « amis de du climat et de la forêt amazonienne ». Cette certification permet aux entreprises adhérentes de faire valoir leur « engagement écologique » et de miser sur le marketing environnemental. Le but a moyen terme d’Eduardo Braga et de son conseiller en écologie, Virgilio Viana, est de pouvoir vendre des crédits carbone correspondant à des parcelles de forêts amazoniennes protégées d’un processus de déforestation.

Pour financer cette politique, des incitations fiscales ont été mises en place afin d’attirer les investissements privés. Une fondation est créée, la Fondation Amazonas Sustentavel, pour récolter des fonds de soutien à la protection de la forêt dans l’Etat d’Amazonas. Elle est aujourd’hui dirigée par Virgilio Viana lui-même. Elle est co-financée par l’Etat d’Amazonas et la banque Bradesco (à hauteur de 8 millions d’euros chacun), et prévoit d’augmenter son capital en faisant appel au secteur privé. La Banque Bradesco s’est engagée à ajouter plus de 4 millions d’euros par an pendant 5 ans en misant sur des outils financiers tels que les fonds de pension, les titres de capitalisation ou les fonds d’investissement. D’autres grands groupes privés, comme Yamamay (chaine de lingerie) ou Marriott International (entreprise hôtelière) ont investi dans des réserves ou fait des dons à la fondation, avant d’implanter des magasins ou des hôtels dans la région.

L’une de ses composantes est la Bolsa Floresta, un système de rétribution pour les populations locales chargées de préserver la forêt. Aujourd’hui, Jacques Denis estime que 4000 foyers bénéficient de 50 reais mensuels (20 euros) et que plus du double devrait en bénéficier fin 2008 / début 2009.

Vitoria Amazônia, association d’éducation à l’environnement, dénonce l’opacité du fonctionnement de la Foncation Amazonas Sustentavel. Pour eux, les entreprises qui apportent des fonds à la fondation blanchissent leur image en misant sur l’avenir de court terme: elles créent une « rente forestière » très rentable, alors que les populations locales qui peuvent protéger leur écosystème dans le long terme continueront à recevoir leur modeste Bolsa Floresta. Le risque de privatisation indirecte d’une grande partie de la forêt amazonienne est donc réel. Les propos d’Ademir Ramos10, rapportés par Jacques Denis, sont clairs: « La préservation de l’Amazonie devient réellement un business. […] On monétise la forêt. Or, d’un point de vue éthique, on ne peut la réduire à un simple problème marchand».

Les risques de privatisation de la forêt amazonienne sont d’autant plus importants qu’à terme, le but est bien de permettre aux propriétaires de « forêts préservées » d’obtenir des permis d’émissions carbone monnayables sur les marchés internationaux des crédit carbone. Mais qui sont les « propriétaires » de la forêt? Le cas du milliardaire suédois Johan Eliasch est exemplaire. En 2005, il rachète la scierie Gethal, et acquiert près de 160.000 hectares de forêts dans l’état d’Amazonas, au titre de la préservation de l’environnement. Quelques mois plus tard, les autorités brésiliennes l’inculpent pour avoir abattu illégalement 230 000 arbres. Peu importe! En 2008 il déclare à El Globo qu’on peut s’offrir l’Amazonie pour 50 milliards de dollars…

Ce projet n’est pas aussi insensé qu’on pourrait le croire. Aujourd’hui, l’Incra11 annonce que 5,5 millions d’hectares d’Amazonie sont déjà la propriété d’étrangers. Et la possibilité d’obtenir, à terme, des crédits carbones échangeables pour chaque hectare de forêt protégé augmente encore les pressions commerciales sur cette zone. Ana Paulina Aguiar Soares12, interrogée par Jacques Denis, déclare que « le crédit carbone revient à privatiser la forêt au profit des entreprises internationales. Sous couvert de protection de l’environnement, celles-ci deviennent propriétaires de parcelles. Que va-t-il se passer pour les habitants, les associations, les coopératives? »

Si cette question reste sans réponse, on sait déjà que cette expérience menée par l’Etat d’Amazonas pourrait s’étendre rapidement à l’ensemble du Brésil. Le 1er Août 2008, le président Lula da Silva a signé un décret créant le Fonds Amazonien, qui pourra capter presque 15 milliards d’euros de dons d’ici 2021, et devrait financer des projets de préservation de la forêt amazonienne proposés par le ministère de l’environnement. On ne sait pas encore dans quelle mesure et sous quelles conditions ces projets pourraient donner lieu à l’émission de crédits carbone.

3.Déforestation évitée et compétition pour l’espace

Les risques de privatisation des forêts, et notamment des grandes forêts tropicales, induits par la création d’un mécanisme de marché autour des projets de « déforestation évitée » semblent donc bien réels. En outre, il convient de s’interroger sur les conditions auxquelles la déforestation peut réellement être régulée par les mécanismes de type REDD.

La logique du système qui rémunère les particuliers ou les entreprises qui protègent la forêt veut que ces acteurs obéissent uniquement à leurs propres intérêts. Ils évitent de déforester, et sont rémunérés en conséquence (sous forme de rémunération directe, comme la Bolsa Floresta dans l’état d’Amazonas, ou de crédits carbone monnayables sur les marchés internationaux), car il est économiquement rentable pour eux de conserver la forêt. Qu’adviendra-t-il si, un jour, il n’est plus rentable de conserver la forêt?

La perversité de ce recours au marché vient en partie du fait que la reconnaissance des crédits carbone s’opère de façon concomitante avec la privatisation des biens communs que représentent la terre encore « nationale » ou les forêts. Quand un producteur forestier, agricole ou un éleveur détruisent la forêt et libèrent des quantités importantes de carbone, ils ne sont pas obligés de payer pour le mal fait à l’environnement et à la planète. De même les Etats ne sont pas contraints de rendre compte devant l’ensemble des nations des conséquences néfastes de leurs politiques forestières ou agricoles. Le droit d’user et d’abuser des ressources est reconnu aux Etats « souverains » et souvent légalement « propriétaires » du sol.

Cette nouvelle combinaison, dans laquelle l’Etat négocie des crédits carbone à l’étranger auprès d’entreprises qui peuvent obtenir ainsi des droits à polluer introduit donc un bénéficiaire nouveau, entreprise privée la plupart du temps, qui bénéficie de la nouvelle rente ainsi créée, et doit faire respecter la politique de protection dont l’Etat se dédouane pour protéger cette rente.

La politique que l’on pourrait attendre d’un Etat responsable serait de socialiser les rentes plutôt que de contribuer à en créer de nouvelles en s’alliant à des acteurs privés (nationaux ou étrangers) susceptibles de l’aider à atteindre ses objectifs affichés.

 

 

Ce système de marché qui, officiellement, permettrait de réguler durablement la gestion des espaces forestiers est en fait particulièrement dangereux et imprévisible à long terme. Dans le contexte actuel de compétition pour l’espace, il convient de s’interroger sur la fiabilité de ce système. Les pressions commerciales sur les terres sont de plus en plus importantes: les sociétés ont besoin d’espace pour créer, par exemple, de grandes unités de production alimentaire. En Amazonie notamment, l’élevage est la première cause de déforestation. Le Brésil est devenu la premier exportateur mondial de viande bovine, à destination des assiettes nord-américaines et européennes. David Kaimovitz, alors directeur du CIFOR, constatait avec humour que « les éleveurs sont en train de transformer l’Amazonie en viande hachée ». Est-il vraiment rentable, ou sera-t-il rentable très longtemps, de protéger la forêt, alors qu’en déboisant pour créer des pâturages, on a l’assurance d’inonder de viande bovine les marchés occidentaux?

La même question se pose pour le soja, qui est devenu la deuxième cause de déforestation en Amazonie après l’élevage. Les surfaces dédiées à l’exploitation de soja ont doublé au Brésil depuis 2000. Le moteur de cette expansion, c’est bien sûr le boom de l’élevage: il faut nourrir les 164 millions de têtes de bétail brésiliens! D’autre part, le Brésil est devenu deuxième exportateur de soja dans le monde derrière les Etats-Unis. En 2003, les exportations de soja représentaient 6% du PIB brésilien. Ces exportations s’expliquent essentiellement par la demande en tourteaux de soja des marchés européens, initiée après la seconde guerre mondiale lorsque l’Europe a été amenée à renoncer à produire les oléagineux dont elle avait besoin et accentuée par la crise de la vache folle et l’interdiction d’utiliser les farines animales pour nourrir les bêtes.

Parallèlement, la demande d’espaces agricoles en vue de produire des agrocarburants ne cesse de s’accroître. Bref, il semble raisonnable de penser qu’un système de rétribution des acteurs qui conservent la forêt ne sera pas à même de lutter efficacement contre la déforestation dans un contexte international où les compétitions pour l’espace génèrent de plus en plus de pressions sur les terres facilement exploitables, et en premier lieu sur les espaces forestiers du Sud. Il serait peut-être temps de songer que le marché n’est sans doute pas capable de répondre aux grands défis qui se posent aujourd’hui à l’humanité, et en particulier aux défis du réchauffement climatique. Pascal Lamy13 lui-même le concède: « Des phénomènes que le capitalisme et son système de valorisation ne permettent pas de traiter, le plus évident est le réchauffement climatique ».

 

1Green is beautiful, webzine numéro 2, La forêt: « puits » ou « sources » de CO2 ? 

2Les marchés du carbone forestier, Comment un projet forestier peut-il vendre des crédits carbone? Mai 2007

3Note d’information du RAC-F sur l’exclusion des puits de carbone au sein du système européen d’échanges de quotas de CO2, Avril 2007.

4W. Cramer et A. Bondeau, Global response of terrestrial ecosystem structure and function to CO2 and climate change: results from six global vegetation models, in Global Change Biology, 2001.

5Projects to offset carbon emissions such as forest planting could prove utterly futile in the fight against global warming, reported in the Proceedings of the National Academy of Sciences.

6Le Réseau Action Climat (RAC) regroupe les principales ONG de protection de l’environnement, de promotion des énergies renouvelables et des transports soutenables sur la question du changement climatique. Il est le représentant français du Climate Action Network International (CAN), réseau mondial de plus de 430 ONG du Nord et du Sud.

7Voir le rapport de Coordination Sud, Lutte contre le changement climatique: l’horloge tourne. Retours sur la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, 1-12 décembre 2008, Poznan (Pologne).

8La CfRN est une organisation intergouvernementale dont le but est de promouvoir la gestion durable des forêts tropicales et de lutter contre la déforestation. Elle est soutenue par Le Chli, la Bolivie, le Costa Rica, le Panama, le Nicaragua, le Guatemala, la République Dominicaine, la RCA, la RDC, le Congo, le Gabon, les îles Fiji, la Papouasie Nouvelle Guinée, les îles Salomon et le Vanuatu.

9Voir l’article de Jacques Denis, publié par le Monde Diplomatique en Octobre 2008: Le business de la « forêt verte » en Amazonie.

10Ademir Ramos est professeur d’anthropologie politique à l’université fédérale de Manaus et animateur d’un centre de recherche privé sur les « questions amazoniennes ».

11Institut National de Colonisation et de Réforme agraire

12Ana Paulina Aguiar Soares a quitté l’Incra en 1996. Elle est géographe, professeure à l’université fédérale de Manaus, et proche du Mouvement des Sans Terre (MST).

13Pascal Lamy est le directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce. Ses propos sont rapportés par Hervé Kempf, dans Pour sauver la planète, sortez du capitalisme!

Bibliographie

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