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Fondo Documental Dinámico
sobre la gobernanza de los recursos naturales en el mundo

MEXIQUE. Populations rurales, populations paysannes ou populations indiennes ?

L’évolution du lien entres les communautés indigènes et la terre dans l’histoire politique mexicaine.

Escrito por: Clara Jamart

Fecha de redaccion:

Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia

Fuentes documentales

Jamart, Clara. Mémoire sur la politique de double conservation comme exigence de développement durable dans l’État de Oaxaca, Mexique. MASTER de recherches de Politiques Comparées, mention Amérique Latine, Sciences-Po. Paris. Septembre 2006

La conquête et la soumission des indiens à la couronne espagnole

La conquête espagnole de l’actuel Mexique a bouleversé en profondeur les sociétés indigènes1. Elle provoque en effet la ruine de l’Empire Aztèque qui domine la région mésoaméricaine depuis le début du XIVéme siècle, puis la destruction des autres cultures mésoaméricaines. La première grande expédition de conquête est lancée en 1519, et s’appuie sur les peuples désireux de se libérer du joug des Aztèques, à qui tous les peuples soumis devaient payer un lourd tribut. En 1521, Tenochtitlán, la capitale aztèque, tombe, et la couronne espagnole peut alors s’emparer assez rapidement des immenses richesses de la région, en commençant par le Sud. Dès 1524, les espagnols arrivent jusqu’au Nord de l’actuel Guatemala et jusqu’au Honduras. Tout le sud est conquis, mis à part les communautés mayas de l’actuel Yucatan, qui ne rendront réellement les armes qu’à la fin du XIXème siècle.

La colonisation du Nord, désertique, peuplé d’indiens insoumis et très éloigné des centres de peuplement espagnols, se révèle bien plus difficile à effectuer. Néanmoins, les espagnols redoublent d’efforts, attirés par les légendes sur les villes de l’or et la possibilité de rejoindre la Chine de Marco Polo, dont la Nouvelle Espagne serait une porte d’entrée. La nouvelle Galice et la vallée de la Basse Californie sont colonisées, mais jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, toutes les missions et les zones de peuplement subissent les assauts répétés des tribus apaches (Chichimèques). En 1748-49, la mise en place du gouvernement militaire appelé Colonie du Nouveau Santander, ne parvient pas à garantir la sécurité du nord de l’actuel Mexique et du sud de l’actuel Texas. Au nord du Rio Bravo, les espagnols se trouvent menacés à la fois par les Comanches, les colons français et anglais, puis, après la défaite de l’armée anglaise, par les Nord-américains indépendants. Si les espagnols s’efforcent de rester à tout prix dans cette région hostile, ce n’est que pour profiter de l’exploitation des mines d’argent.

Toutefois, l’instabilité politique du Nord et la fragilité de la présence espagnole dans cette zone, renforce le poids politique de la zone centrale. En 1535, Mexico devient la capitale d’un vice royaume, la Nouvelle Espagne, dont l’autorité s’étend en principe sur toutes les Antilles, le sud et l’ouest des Etats-Unis actuels et la plus grande partie de l’Amérique centrale, appelée « Capitainerie Générale du Guatemala ». Le système politique mis en place par la couronne espagnole ressemble à un système féodal à l’européenne. Les « encomienda » constituent l’entité de base de ce système. Un titulaire envoyé d’Espagne doit assurer la protection et l’éducation des indiens de l’encomienda, qui lui ont été confiés par la couronne en récompense de ses mérites. En échange, les indiens doivent fournir un tribut à l’administrateur espagnol. L’encomienda n’est donc pas une propriété foncière, dans la mesure où le pouvoir de l’encomendero s’exerce sur un peuple, et pas sur un territoire. En revanche, les terres laissées inoccupées par les communautés indiennes décimées par les épidémies sont accaparées par les espagnols et constituées en grandes propriétés nommées haciendas. En effet, entre le début et la fin du XVIème siècle, la population mésoaméricaine s’est effondrée pour atteindre 1,5 millions d’habitants.

A l’époque coloniale, les populations mexicaines ne correspondent pas à la vision fantasmée que se font les européens de la relation entre « les sauvages » et leur milieu naturel. La grande majorité d’entre elles appartient, comme on vient de le voir, à des empires agraires fondés sur une administration centralisée et des techniques productives orientées vers la production d’excédents. C’est en partie la raison pour laquelle le modèle préhispanique ne peut en aucun cas, aux yeux de nombreux observateurs, être considéré comme un modèle d’exploitation durable des ressources qui aurait été perverti par la colonisation. Le concept de liberté est inexistant, mais « les » libertés sont reconnues, au sens d’us et coutumes. Le statut inférieur des indiens s’exprime dans leur devoir, en tant que sujets de la couronne, de payer un tribut, que Silvio Zavala et José Miranda définissent comme un « impôt de race ». La logique politique en place est donc celle d’une nationalité dominante régnant sur le centre et exploitant les autres nationalités regroupées sous le terme « repúblicas de indios ». C’est également à cette époque que s’instaure un vaste processus de gouvernance territoriale des populations indiennes. La relation entre peuples indigènes et dynamiques écologiques naît donc avec le début des expulsions, la réorganisation des villages et leurs connexions aux espaces naturels environnants, la transformation du rapport au territoire et à ses ressources naturelles. Au XIXéme et au XXéme siècle, cette relation va s’intensifier.

L’indépendance et le projet assimilationiste

Lorsqu’en 1821 les armées espagnoles sont définitivement vaincues, le Mexique indépendant change radicalement de politique à l’égard des populations indigènes. Ce sont les créoles qui vont porter, tout au long du XIXème siècle, le projet national au Mexique et, plus généralement, en Amérique latine. Ce projet est lourd à porter. Comment penser cette nouvelle nation, qui, après trois siècles de colonisation et de métissage, n’est plus ni une communauté de sang, ni une communauté de culture ? Comment s’appuyer sur un passé commun, même mythifié, lorsque ce passé est considéré comme injuste ? Le cas mexicain n’est pas différent des autres pays latino-américains. Dès 1815, Simon Bolivar exprime ce « dilemme latino-américain » dans sa lettre de Jamaïque : « Nous ne sommes ni indiens, ni espagnols, nous sommes quelque chose d’intermédiaire entre les légitimes maîtres du pays et les usurpateurs espagnols ».

La solution au dilemme bolivarien trouvera son inspiration à la fois dans le libéralisme à l’anglo-saxonne et dans l’héritage de la Révolution française. L’indépendance doit créer des nations d’individus libres, égaux, fraternels, unis par un même projet, ou, en termes rousseauistes, par un contrat social. Se trouvant dans l’impossibilité totale de se tourner vers le passé et de se fonder sur un mythe, la nouvelle communauté nation se tournera donc vers l’avenir, et se construira autour d’une utopie. Ce projet libéral mis en place à l’indépendance a donc un but simple : la création d’un peuple de citoyens, et, logiquement, l’assimilation des indigènes. Les moyens pour atteindre ce but se trouvent dans l’éducation, l’apprentissage de la langue espagnole, l’enseignement de la pensée des Lumières, ainsi que le métissage, aussi bien biologique que culturel.

La constitution mexicaine de 1857 ne fait pas mention d’une quelconque « identité » indienne, alors que 60% de la population de l’époque se définit comme indienne, et que quelques groupes organisés, notamment mayas et yaquis, échappent à l’autorité de l’Etat et revendiquent leur spécificité ethnique. La catégorie « infamante » d’indien est officiellement supprimée, mais cela engendre surtout la suppression du statut légal particulier dont « bénéficiaient » les indiens et qui leur assuraient une certaine protection contre une trop grande oppression. Les terres communautaires sont confisquées et mises sur le marché. Parallèlement, la laïcisation de l’Etat entraîne la suppression des communautés religieuses et de leurs propriétés territoriales.

L’époque du « profiriat », qui correspond à la présidence de Porfirio Diaz, entre 1876 et 1910, ne fait qu’aggraver cette situation indienne. Les indigènes qui refusent de se voir convertir en « peones » ou « métayers » se retrouvent dans l’obligation d’exploiter intensivement les ressources naturelles, dans la mesure ou les latifundistes soutenus par le régime se sont appropriés les terres les plus fertiles dont les indiens ont été expulsés. Les déplacements massifs de populations indiennes entraînent une déstructuration des relations entre les communautés indigènes et leur environnement, ainsi qu’une fragilisation des normes communautaires quant à l’usage des ressources naturelles. C’est à cette époque également qu’apparaît définitivement l’image de l’indien comme frein au processus de modernisation. L’existence de terres collectives restées en possession indiennes est considérée comme un véritable frein à la mise en place d’une agriculture moderne à hauts rendements nécessaire à nourrir les citadins.

En 1910, 40% des communautés ont réussi à conserver leurs terres, mais il s’agit des terres les moins fertiles et les plus isolées. Les paysans sans terre sont sans cesse plus nombreux, tout comme les indiens tenus en quasi esclavage pour dette, alors que les premières révoltes « identitaires », qui sont à cette époque surtout des révoltes économiques, sont violemment écrasées. Le Mexique indépendant reste donc assez éloigné des expériences coloniales de préservation des ressources naturelles que l’on observe sur d’autres continents, et les indiens mexicains sont très loin de correspondre au fantasme du « sauvage écologique » qui s’étend eu Europe.

L’arrivée au pouvoir des dictatures partout en Amérique latine dans le courant des années 1930 ne va pas remettre en question ce modèle en vigueur dans tous les pays nouvellement indépendants. Ce n’est plus la vieille oligarchie, qu’elle soit libérale ou conservatrice, qui contrôle le projet national, mais un Etat fort, corporatiste, modernisateur et autoritaire. Après la Révolution de 1910 au Mexique, le Partido Revolucionario Institucional (PRI) au pouvoir se donne pour objectif de renforcer la nation en construction et met en place une politique indigéniste volontariste. L’objectif est clair : assimiler les populations indigènes pour créer une communauté nationale métisse, abandonner les identités ethniques pour créer un « homo americanus » dans un cadre révolutionnaire. L’indien doit à tout prix se transformer en paysan/ouvrier/employé. On assiste notamment à un processus de « campesinisación »2 du monde indigène. En effet, les politiques agraires du gouvernement mexicain favorisent cette « transformation » de l’indien en paysan en créant le système ejidal, système de propriété collective des terres. Les ejidos sont attribués sans distinction aux indiens et aux non indiens, tous également considérés comme paysans par les politiques publiques.

L’identité ne doit donc en aucun cas être fondée sur l’appartenance ethnique, religieuse ou culturelle, mais bien sur l’appartenance nationale. Ce modèle de développement des nations, inauguré par l’Etat mexicain, sera ensuite appliqué par l’ensemble des dictatures latino-américaines. Il sera d’autant moins remis en question que la gauche latino-américaine y adhère largement. Dans l’esprit des mouvements ou des partis de gauche contestataire de l’époque, l’indien doit devenir prolétaire afin de participer au projet de libération sociale et sortir de l’exploitation.

Les résultats des politiques indigénistes sont assez nuancés. De très nombreux indiens suivent la voie indiquée par le pouvoir, migrent vers les villes, étudient en espagnol et abandonnent leurs systèmes socioculturels traditionnels, mais tous ne sont pas assimilés, loin de là. Aujourd’hui, la population indienne n’a jamais été aussi nombreuse sur le continent latino américain, un nombre croissant de personnes revendique son identité indigène et prétend même s’intégrer à une citoyenneté nouvelle grâce à cette identité indigène.

L’ethnicisation des revendications socio-économiques et la mise en place de politiques « néoindigénistes »

Les années 1980 voient naître un nouvel acteur sur la scène politique nationale et internationale : l’acteur indigène comme acteur ethnique. A cette époque, le modèle national populiste se retrouve en situation d’épuisement. La convergence de différents facteurs permet de saisir les raisons de cet essoufflement. D’abord, les politiques d’éducation menées par le gouvernement mexicain ont permis de former une élite indienne cultivée et capable de s’adapter aux enjeux d’un monde globalisé. Dans les campagnes, on assiste à une montée en force des inspirations démocratiques, en même temps qu’à une crise profonde de l’économie paysanne. Les phénomènes migratoires vers les villes ou les Etats-Unis s’intensifient. Parallèlement, la présence et l’action de nouveaux acteurs dans les milieux indigènes, comme les Organisations Non Gouvernementales (ONG) ou l’Eglise de la Libération, de plus en plus influente, favorisent l’émergence de ce nouvel acteur ethnique contestataire.

Un secteur de plus en plus important de la population paysanne revendique en effet son caractère indigène, pour en faire la base d’un type nouveau d’action collective, légitimée par l’appartenance ethnique. De nouvelles solidarités apparaissent donc dans les campagnes mexicaines. Il s’agit de formes de solidarités ethniques et génériques, qui se substituent aux solidarités traditionnelles de l’ancien modèle vertical corporatiste. Un processus d’éthnicisation des demandes économiques et sociales adressées à l’Etat par le monde rural est en cours. De nouvelles mobilisations sociales apparaissent, fondées sur l’identité ethnique. Ces nouvelles mobilisations combinent deux dimensions : une dimension expressive, qui fait appel à l’émotion de l’opinion publique nationale et internationale, et une dimension instrumentale pragmatique. Cette combinaison équilibrée des deux dimensions rend le discours du nouvel acteur indigène mexicain particulièrement performant.

Selon l’hypothèse de Christian Gros3, ces revendications ethniques qui surgissent au Mexique comme partout en Amérique latine constituent une demande de participation de la part des populations indiennes. Il s’agit plus d’une stratégie d’intégration, d’une volonté d’accès à la modernité que d’un désir d’isolement ethnique et de replis identitaire. En réalité, Christian Gros affirme que ce processus d’éthnicisation des demandes économiques et sociales dans les années 1980 correspond à une double aspiration de la part du mouvement indigène en formation : d’une part, l’aspiration à l’égalité citoyenne de fait, et d’autre part, l’aspiration à être reconnu dans sa différence et sa spécificité ethnoculturelle. Au final, ce que revendique le mouvement indigène, c’est le droit à l’égalité dans la différence.

Face à la montée en puissance de cet acteur indigène, l’Etat mexicain, comme la grande majorité des Etats latino-américains, met en place une nouvelle politique à l’égard des populations indiennes : la politique néoindigéniste. Cette politique néoindigéniste rompt avec l’esprit des politiques indigénistes menées par les gouvernements autoritaires et corporatistes du début du XXème siècle. Il ne s’agit plus d’assimiler les populations indigènes, de valoriser l’homogénéisation du peuple mexicain par le métissage biologique et culturel, de favoriser l’émergence de cet « homo americanus » universel, mais bien au contraire de reconnaître la diversité ethnoculturelle de la nation mexicaine.

Il s’agit de ne pas oublier que ce changement de paradigme politique se fait dans un contexte bien précis qui a placé les Etats latino-américains, dont l’Etat mexicain, dans une situation difficile. En effet, les années 1980/90 correspondent à une phase de démocratisation des nations latino-américaines. Les gouvernements militaires et/ou autoritaires se désagrègent sous les pressions internes et internationales. Au Mexique, l’hégémonie du PRI est fortement remise en cause. Or, le processus de démocratisation implique la reconnaissance des droits individuels au sein des nations, ainsi que l’acceptation des sociétés civiles et des mouvements sociaux, dont le mouvement indigène. Le débat démocratique gagne de nouveaux espaces, et l’Etat mexicain se doit d’écouter les nouvelles revendications émises par la société civile. D’autre part, les années 80 et 90 correspondent aussi à une phase de montée en puissance du modèle néolibéral sur le continent américain. L’Etat mexicain doit réviser son rôle à la baisse, repenser ses formes d’intervention. Mais l’ouverture de l’économie nationale au marché international, la mise en place de politiques d’ajustement structurel, ainsi que le processus de privatisation des services publiques et la révision à la baisse des budgets sociaux entraînent une croissance rapide des inégalités sociales et l’appauvrissement d’une grande partie de la population mexicaine, surtout dans les campagnes. L’effondrement des solidarités corporatistes et le phénomène de corruption massive des fonctionnaires aggravent encore cette situation.

L’Etat se retrouve donc dans une situation extrêmement complexe dans la mesure où il existe une rupture profonde entre sa politique sociale et sa politique économique. D’une part, le processus de démocratisation favorise l’inclusion politique des citoyens mexicains, l’expression de la société civile et des mouvements sociaux, les aspirations à une égalité citoyenne de fait. Et d’autre part, les politiques néolibérales favorisent l’exclusion économique et sociale des populations les plus vulnérables, et, en premier lieu, des populations rurales et indigènes. Ce double processus d’inclusion politique et d’exclusion économique place l’Etat face à un grave problème de gouvernance et de légitimité.

Parallèlement, il faut rappeler qu’un troisième facteur déstabilise encore plus cet Etat mexicain pris au piège entre les exigences politiques et les exigences économiques de son époque. Ce troisième facteur déterminant, c’est le processus de globalisation. En effet, la question indigène se trouve, de fait, globalisée. Les populations indigènes acquièrent un capital symbolique puissant aux yeux de l’opinion publique occidentale, car elles représentent une lutte contre le processus, réel ou fantasmé, d’homogénéisation du monde. De plus, la problématique de la reconnaissance des droits indigènes se trouve à la croisée des préoccupations occidentales : multiculturalisme, développement durable, démocratie participative, protection de l’environnement, respect de la biodiversité… Le mouvement indigène se retrouve donc en plein cœur d’un paradoxe : alors que la globalisation « par le haut » semble contraire à ses intérêts et mettre en péril son existence même, la globalisation « par le bas » lui permet de trouver une place sur la scène internationale et de s’appuyer sur de nouveaux alliés, notamment au sein des mouvements altermondialistes et des promoteurs du développement durable.

Dans ce contexte particulièrement explosif, l’Etat mexicain s’assure donc un certain niveau de gouvernabilité avec la mise en place de politiques néoindigénistes. Cela lui permet à la fois d’assumer son retrait partiel en lui assurant de nouveaux interlocuteurs qui renforcent sa légitimité. Grâce à ces politiques néoindigénistes, l’Etat satisfait donc à la fois aux exigences de son nouveau caractère démocratique et aux exigences de retrait que lui imposent ses nouveaux choix économiques. D’ailleurs, Christian Gros souligne que les politiques néoindigénistes sont à rapprocher des politiques de décentralisation ou de démocratie participative mises en place un peu partout en Amérique latine à cette époque là. Il s’agit de la même logique de légitimation politique et économique de l’Etat, qui transfère des fonds et des compétences vers le local afin de réduire sa toute puissance, contraire aux principes du néolibéralisme, tout en permettant aux mouvements sociaux, en particulier indigènes, d’exprimer toute leur légitimité dans le nouveau cadre démocratique.

Le choix de ce paradigme néoindigéniste qui favorise la reconnaissance de la différence plutôt que l’assimilation s’accompagne dans la grande majorité des Etats latino américains d’une réforme constitutionnelle de fond. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, 14 pays de la zone reconnaissent dans de nouvelles constitutions le caractère pluriethnique et multiculturel de leur nation. A l’occasion du 500ème anniversaire de « la rencontre des deux mondes », célébré en 1992, le Mexique réforme lui aussi sa Constitution. L’article 4 de la nouvelle Constitution mexicaine stipule : « La nation mexicaine a une composition multiculturelle qui trouve son origine dans ses peuples indigènes. La loi protègera et promouvra le développement de ses langues, cultures, us et coutumes, ressources et formes spécifiques d’organisation sociale, et garantira à ses intégrants un accès effectif à la juridiction de l’Etat. Dans les jugements et procédures agraires dont elle est partie, elle prendra compte de ses pratiques et coutumes juridiques dans les termes qu’établira la loi. L’homme et la femme sont égaux devant la loi. Celle-ci protégera l’organisation et le développement de la famille ».

Ce bouleversement constitutionnel s’accompagne de réformes légales de première importance, tout au moins sur le plan symbolique. La reconnaissance du caractère multiculturel de la nation mexicaine s’accompagne en effet de la reconnaissance de droits spécifiques relatifs aux populations indigènes. Cette reconnaissance de droits collectifs sur une base ethnoculturelle rompt symboliquement avec l’idée de nation au sens d’Habermas (un peuple, une culture, une langue, un territoire). Les droits qui sont reconnus aux populations indigènes dans l’actuelle constitution mexicaine constituent :

  • des droits territoriaux sur les terres ancestrales indigènes et les ressources naturelles

  • des droits à des formes spécifiques d’organisation et de gouvernement respectant les autorités coutumières

  • des droits culturels, notamment le droit à une éducation bilingue et biculturelle

  • la reconnaissance des communautés comme sujets de droit dotés d’une personnalité juridique

  • la reconnaissance de l’exercice du droit coutumier

  • des droits particuliers en matière de propriété intellectuelle

Cette politique semble renouer avec les politiques de protection culturelle de l’Ancien Régime, en recréant des « enclaves indiennes » où régirait le droit indien. Mais il ne faut pas oublier que les indigènes mexicains d’aujourd’hui disposent aussi et avant tout de droits individuels. Il ne s’agit pas de favoriser le retour pur et simple à la communauté mais bien de concilier individualisme libéral et communautarisme, de faire cohabiter dans un même système juridique universalisme et particularisme identitaire.

Les politiques néoindigénistes mises en place au Mexique comprennent donc une forte composante environnementale. L’«empowerment» des communautés indigènes mexicaines passe avant tout par la reconnaissance de droits spécifiquement indiens sur les terres considérées comme des terres ancestrales. En théorie, les communautés indigènes reconnues comme telles constituent des personnalités juridiques à part entière, dotées de droits imprescriptibles, et en particulier du droit d’administrer leurs territoires selon leurs propres traditions et coutumes. Cet aspect essentiel des politiques néoindigénistes mexicaines repose en fait sur l’idée de double conservation. Confier aux communautés indigènes la responsabilité directe de gouverner leurs territoires correspond à la double ambition de faciliter la conservation du multiculturalisme mexicain, et de proposer des solutions locales aux problématiques de gestion de la biodiversité. D’une part, la reconnaissance de droits spécifiquement indigènes est supposée permettre aux communautés de se renforcer dans leur spécificité ethnoculturelle, de conserver leurs langues et perpétuer leurs traditions, à travers la gestion de leur environnement. D’autre part, les communautés indigènes sont considérées comme l’acteur le plus apte à conserver la richesse biologique et culturelle du territoire, et donc le plus apte à trouver, au niveau local, des solutions aux processus graves de déforestation, de pollution et de pillage écologique que connaît le Mexique depuis une vingtaine d’années.

L’Etat facilite ainsi son désengagement sur ces deux thèmes cruciaux de la politique mexicaine, et satisfait à la fois le processus de démocratisation du pays et le processus de libéralisation dans lequel il s’est engagé. L’idée des politiques néoindigénistes est donc de favoriser un développement durable sans fournir d’aide directe aux plus pauvres, que sont bien, le plus souvent, les communautés rurales indigènes. Le fait de leur laisser une certaine liberté sur la gouvernance de leurs territoires leur permettrait en effet de se développer au sens économique, en exploitant durablement les richesses de leur environnement, ainsi que de participer au développement global du pays, en préservant sur le long terme sa diversité culturelle et biologique. Ces discours théoriques sont loin d’être appliqués à l’ensemble du territoire mexicain, ce qui semble assez évident au regard des revendications du mouvement zapatiste du Chiapas par exemple. Ils sont d’ailleurs appliqués d’autant moins uniformément que l’Etat mexicain constitue un Etat fédéral qui laisse une importante autonomie locales aux différents états fédérés.

1Sur l’histoire de la conquête espagnole, voir François Weymuller, L’Histoire du Mexique, Paris PUF, 1976

2De l’espagnol « campesino », paysan. La « campesinisación » est le processus de développement de l’agriculture paysanne

3}Christian Gros, Ethnicité et citoyenneté: questions en suspens, in Revue d’Amérique Latine, 2002

Clara Jamart a rédigé cet article sur la base de son travail de recherche réalisé en 2006 avec AGTER à Oaxaca, Mexique dans le cadre d’un MASTER de recherches de Politiques Comparées, mention Amérique Latine, Sciences-Po.

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