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La décentralisation au Mali : le « transfert de compétences » en difficulté

Resumen

La politique de décentralisation au Mali apparaît aux yeux de nombre d’observateurs comme une des plus audacieuses en Afrique à cause du nombre très élevé d’institutions créées : simultanément 683 nouvelles communes (en plus des 19 déjà existantes), 52 cercles, 8 régions et le district de Bamako. Le nombre des institutions a mis au cœur de la décentralisation la question du transfert des pouvoirs, responsabilités et ressources de l’État à tous ces niveaux. En même temps se posent deux autres questions importantes : quelles sont les prérogatives des institutions dites traditionnelles créées par les populations au niveau des villages (fractions et quartiers) et entre les villages ? Quel type de collaboration doit exister entre ces institutions et les démembrements de l’État ? Cette fiche va traiter des acquis et difficultés de la politique malienne de décentralisation et des pistes de solutions aux défis qu’elle affronte.

L’expérience malienne de décentralisation

La décentralisation est apparue au début des années 1990, dans beaucoup de pays ouest-africains, comme la forme de gestion la mieux adaptée aux changements politiques importants qui avaient cours dans ces pays avec l’instauration de la démocratie.

Cependant il y avait une grande polémique sur ce qu’est la décentralisation et même sur son utilité. Sans entrer dans cette polémique et afin d’étudier l’expérience malienne de décentralisation, nous retenons la définition suivante: la décentralisation est une politique basée sur une répartition particulière des pouvoirs, des responsabilités et des ressources entre les institutions d’une communauté humaine donnée, afin de parvenir à une gestion performante des ressources et à des relations fonctionnelles entre ces institutions et ainsi atteindre comme objectif ultime une amélioration conséquente des conditions de vie de cette communauté humaine.

Historique de la décentralisation au Mali

Avec cette définition il est possible d’avoir une idée du degré d’application de la politique de décentralisation à différentes étapes de la vie institutionnelle d’un pays donné. Le Mali appartient à cet ensemble sous-régional qui a connu des États très structurés pendant plus de dix siècles avant la colonisation européenne : non seulement de nombreux royaumes mais surtout trois grands empires caractérisés par une forte stabilité politique interne. Selon de nombreuses sources, l’une des raisons fondamentales de la stabilité politique des grands empires précoloniaux de cette région est l’autonomie dont jouissaient les institutions locales, ce qui est un principe essentiel de la décentralisation. Cette autonomie était pleine concernant la gestion des terres et des conflits fonciers.

Avec l’organisation de l’État colonial, conformément à la tradition centralisatrice de la France, prend fin cette autonomie des institutions locales. L’administrateur colonial, le Gouverneur général Van Volhanoven précise aux populations des colonies: « Désormais vos chefferies et vos coutumes n’existent plus; c’est ce que veut la France qui se fera ici ». Au plan foncier, il est décrété qu’il y a dans les colonies des « terres vacantes et sans maître ». Au nom de ces principes, les droits coutumiers sont ignorés et les populations perdent le contrôle des terres dont l’État colonial a besoin.

Depuis l’indépendance du Mali (1960), la volonté de mettre en œuvre une politique de décentralisation apparaît clairement dans les textes les plus importants, notamment les différentes Constitutions du Mali. Mais la décentralisation sous la Première République (1960-68) va se heurter aux difficultés politiques que connaît le jeune État avec l’éclatement de la Fédération du Mali et la rébellion au Nord Mali. L’État socialiste se radicalise dans le sens d’une plus grande centralisation du pouvoir et il va ainsi décider, par exemple, que « toutes les terres appartiennent à l’État », dépassant de loin les prétentions de l’État colonial sur les terres agricoles des colonies.

C’est plutôt l’accumulation des difficultés économiques qui va pousser les autorités de la Deuxième République (1968-91) à mettre en place une gestion très centralisée des ressources. On assiste même à une « militarisation des campagnes » entre 1970 et 1980 parce que l’armée est chargée d’assurer le monopole de l’État sur le commerce des céréales. La décentralisation incarnée par le choix d’une gestion décentralisée des taxes de développement local et régional n’a pu être appliquée: les institutions locales et régionales n’ont presque jamais reçu leur quota de ressources fiscales. De même, le contrôle de l’État sur les terres aménagées (comme l’Office du Niger) est fortement renforcé: les paysans peuvent en être expulsés à tout moment de l’année et la redevance est étendue aux champs hors casiers.

La Troisième République est née d’une insurrection populaire parachevée par un coup d’État militaire le 26 mars 1991. La Conférence nationale de 1992 a décidé de l’instauration de la démocratie et opté pour une gestion décentralisée des ressources du pays. Mais des indications plus précises manquaient concernant la redéfinition des rôles des institutions existantes, la création de nouvelles institutions, la mise en place de nouveaux mécanismes de fonctionnement. Or l’expérience malienne même mettait à jour l’existence d’au moins deux conceptions de la mise en œuvre de la décentralisation dans le pays :

une conception plutôt politique, annoncée déjà par la Constitution de 1960 qui reconnaît comme « collectivités », « les tribus nomades, les villages et les fractions nomades… ». Cette tendance est reprise dans les textes importants de la Transition qui a suivi la fin de la Deuxième République. Parmi ces textes figure le Schéma directeur de développement rural, qui se donne comme préoccupation la sécurisation foncière des usagers ruraux. À cet effet, il a soulevé les questions suivantes: qui sécuriser ? Quoi sécuriser? Comment sécuriser? Par qui sécuriser? Il donne des indications précises sur ce que l’État et ses différents services doivent faire pour restaurer l’autonomie de gestion des institutions de base ;

une conception plutôt technocratique qui privilégie le découpage administratif, le principe de tutelle, et la vision que le village est une entité administrative. Cette conception met plus l’accent sur la mise en place d’institutions (commune, cercle, région) qui sont considérées comme des démembrements (représentations locales) de l’État. Elle traite très peu de la question du transfert des compétences de ces institutions aux structures des villages, fractions et quartiers.

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Les acquis et difficultés de la politique malienne de décentralisation

C’est cette dernière conception qui va se mettre en place à partir de 1994, date de la définition des axes de la nouvelle politique de décentralisation et de la mise en place des premières mesures de son application. Les acquis de cette politique sont les suivants :

– le cadre juridique est créé, le découpage territorial prévu est achevé, les institutions des collectivités territoriales sont installées depuis les élections de 1999 ;

– outre la définition des attributions respectives des différentes collectivités territoriales, trois textes réglementaires prévoient le transfert de certaines compétences dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’hydraulique;

– au plan institutionnel, après l’année 2000, les tâches de la Mission de décentralisation, structure provisoire aux objectifs strictement limités, sont prises en charge par la DNCT (Direction nationale des collectivités locales), l’ANICT (Agence nationale d’investissements des collectivités territoriales) et la MAT (Mission d’aménagement du territoire) ;

– un Document cadre de politique nationale de décentralisation (2005-

2014) est élaboré, qui fixe les objectifs définitifs de cette politique.

Le programme malien de décentralisation arrive aujourd’hui à un tournant d’autant plus important que les questions sont à la fois techniques et politiques. Ces dernières, que le programme avait repoussées à plus tard, sont devenues de plus en plus difficiles à résoudre. La plupart des États d’Afrique de l’Ouest, surtout ceux du CILSS – Comité Inter-États de Lutte contre la Sécheresse au Sahel – (malgré les efforts de l’organisme lui- même), avaient, en effet, mis l’accent sur les aspects techniques de la décentralisation, notamment sur le découpage territorial.

Les difficultés « techniques » internes au programme sont les suivantes :

– les litiges liés au découpage territorial ne sont pas totalement réglés : ceci met en jeu le problème des limites des territoires des villages qui composent les collectivités territoriales et les difficultés futures de l’intercommunalité ;

– les interventions des trois niveaux de collectivités territoriales ne sont pas cohérentes ;

– le statut des élus locaux et du personnel administratif des collectivités n’est pas défini.

Mais les difficultés politiques sont plus importantes encore :

– les limites de la tutelle ne sont pas clairement fixées et on ignore donc le degré d’autonomie des différentes institutions locales. C’est ainsi que, par exemple, les communes ne savent pas toujours où s’arrêtent les prérogatives du préfet (le représentant du pouvoir administratif de l’État) concernant la définition de leur budget ;

– il existe de nombreux blocages du processus de transfert de compétences et de ressources de l’État aux collectivités: depuis bientôt dix ans le transfert des responsabilités n’a été effectif que pour la santé, l’éducation et l’hydraulique. Mais même pour ces secteurs, le transfert des ressources n’a commencé que cette année et pour l’éducation seule. Il reste bien d’autres secteurs importants pour les citoyens, comme le foncier, pour lesquels aucun transfert n’a encore eu lieu alors que les conflits y deviennent de plus en plus nombreux et violents ;

– le rôle des collectivités territoriales dans le processus de création de richesses au niveau local (et donc dans le développement local) n’est pas clairement défini. Par exemple, la commune est parfois l’investisseur, parfois l’entrepreneur, d’autres fois celui qui a la charge de l’approvisionnement ou le tout à la fois; elle est le reflet à un autre niveau de l’État qui veut tout faire. Cela se traduit au plan du foncier par des abus auxquels s’adonnent les équipes municipales dans l’affectation des parcelles et l’attribution des lots d’habitation ;

– la démocratie à la base n’est pas promue parce que le contrôle par les communautés de base (dans les villages, quartiers, fractions, etc.) n’est pas organisé. On y a substitué la tutelle des services de l’État, et la corruption qui s’étend dans ces services rend le contrôle inefficace.

Les défis actuels et les pistes de solution

Ce qui caractérise toute la période postcoloniale de l’histoire de la décentralisation au Mali, c’est la contradiction entre les textes et les mesures effectivement prises, entre les déclarations politiques et les pratiques. Ceci fait que le citoyen se demande quel est l’objectif politique réellement visé.

À ces difficultés propres au pays, il faut ajouter celles nées de la volonté politique du Mali d’aller vers l’intégration régionale. Beaucoup de gens oublient que l’intégration relève de processus similaires à ceux de la décentralisation, en ce sens qu’elle peut mener à la construction d’un État fédéral. Ceci impose donc une harmonisation des politiques des pays concernés, surtout dans le domaine de la gestion des espaces transfrontaliers et des terres aménagées sur lesquelles voudraient travailler des ressortissants de pays voisins.

Enfin, à ces contraintes, il faut ajouter celles que créent les « partenaires techniques et financiers » européens et nord-américains. Ces bailleurs de fonds pèsent parfois d’un poids énorme sur l’économie nationale et n’hésitent pas quelquefois à intervenir fortement dans le choix des options politiques du Mali.

Tout ceci justifie que, dans le contexte actuel de transition en Afrique de l’Ouest, on privilégie la stratégie de bâtir des compromis entre les différentes conceptions et entre les différentes institutions.

Cette construction de compromis doit reposer sur le principe de subsidiarité dans le partage des pouvoirs, des responsabilités et des ressources. Cela signifie que les politiques de décentralisation doivent accorder un degré effectif d’autonomie aux différents niveaux du local et qu’elles prennent en compte les savoirs et savoir-faire des populations ainsi que les valeurs positives des différentes cultures.

À l’intérieur des pays, bâtir des compromis ne signifie pas tenter de revenir totalement sur les programmes déjà largement entamés, mais il n’est pas trop tard pour trouver des formes de gestion sur lesquelles peuvent s’entendre la grande majorité des citoyens et des institutions concernées, et de développer ainsi des formes de cogestion.

Dans le domaine du foncier par exemple, il faut définir les terres gérées par les villages, fractions ou quartiers, celles gérées par une commune ou plusieurs communes (intercommunalité), celles gérées directement par l’État (domanialité), et celles qui le sont dans le cadre d’accords entre pays voisins (transfrontalier).

Pour que ces formes de cogestion se mettent en place et fonctionnent, il faut la paix civile, la confiance, la volonté politique des États et le respect par leurs partenaires des options qu’ils ont librement choisies.

Bibliografía

Coulibaly C., « Subsidiarité et civilisations : essai de philosophie politique mandingue », Revue Les Cahiers de Mande Bukari no 3, 2e trimestre 2006, Éditions Le Cauri d’Or.

soumbala.com/subsidiarite-et-civilisations-essai-de-philosophie-politique-mandingue.html

Idelman É., Fiche pédagogique : « Collectivités locales et territoires locaux en Afrique de l’Ouest rurale », Comité technique Foncier et Développement, 2010. www.foncier-developpement.fr/publication/collectivites-locales-et-territoires-locaux-en-afrique-de-louest-rurale

Idelman É., Décentralisation et limites foncières au Mali, juin 2009.

pubs.iied.org/pubs/pdfs/12558FIIED.pdf

« L’État et la décentralisation au Mali », Conférence a l’école doctorale de l’Université libre de Bruxelles, février 2008.

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