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FRANCE. La régulation de la taille des exploitations agricoles : « le contrôle des structures »

Escrito por: Gwenaëlle Mertz

Fecha de redaccion:

Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia

Resumen

La France a mis en place dans les années 1960 des politiques qui avaient pour objectif de moderniser son agriculture. Elle a instauré en même temps une politique de « contrôle des structures agricoles », pour réguler la taille des unités de production, afin de l’optimiser pour des exploitations qui soient efficaces, tout en restant de nature familiale et paysanne. Cette fiche fait le point de la situation du contrôle des structures tel qu’il est appliqué en 2010.

Pour une synthèse de l’ensemble des politiques visant à réguler la taille des exploitations agricoles en France des années 1950 à 2015, voir Merlet M. (2016) La politique des structures en France: une capitalisation d’expérience, 34 p.)

En 1962, lors de la promulgation de la loi complémentaire à la loi d’orientation de 1960, les agriculteurs se mobilisent contre le cumul des terres qui gêne l’installation des jeunes agriculteurs. C’est le début de la politique du contrôle des structures.

Cette politique a pour vocation d’harmoniser les exploitations agricoles françaises, afin qu’elles tendent vers un modèle de production idéal, de type familial, de taille moyenne (entre 30 et 50 hectares) et moderne. On estime en effet que c’est avec ce type de structures que les agriculteurs pourront dégager un revenu au moins équivalent au SMIC (salaire minimum pour les salariés). Ainsi, le bulletin du Ministère de l’Agriculture de février 1963 affirme que cette législation sur les cumuls doit « freiner et même stopper au maximum la croissance de ceux qui sont déjà suffisamment nantis, d’aider au maximum les plus démunis à atteindre le niveau d’une exploitation viable, c’est-à-dire qui permette de vivre et pas seulement de mourir »1. Il doit faciliter l’installation des jeunes et l’agrandissement des exploitations que l’on ne juge pas assez solides pour affronter la concurrence et survivre à la modernisation en cours. On attend de cette politique qu’elle entraîne une meilleure répartition des terres entre les agriculteurs, à la mesure de leurs besoins respectifs.

Pour cela, on a créé les SAFER. (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural), des organismes à qui l’on confie la mission initiale de « réorganiser les exploitations agricoles dans le cadre de la mise en place d’une agriculture plus productive » 2. Puis on leur confie la tâche de faciliter l’accès à la terre pour l’installation de nouveaux agriculteurs, pour ceux qui n’ont pas atteint la surface que l’on juge idéale, mais aussi de limiter la spéculation sur le foncier 3. Cependant leur pouvoir se limite aux opérations d’achat-vente. Pour compléter cette politique, d’autres instruments ont été instaurées, au fil des lois, pour former l’attirail juridique actuel décrit ci-dessous.

Le Schéma Directeur Départemental des Structures (SDDS)

Tout d’abord, le volet foncier de la loi de d’orientation de 1980 introduit la possibilité pour les départements de rédiger chaque année un schéma directeur départemental des structures (SDDS) dans lequel sont fixées les priorités en terme de structures agricoles pour le département (installations/ agrandissements/ type de projets).

Il doit être discuté entre l’administration et la profession agricole, ce qui lui confère une plus grande visibilité et implication de la part de la profession. Le principal objectif de ce SDDS est de fournir une base légale des motivations pour les décisions qui vont être prises dans le cadre de la politique de contrôle des structures.

Pour tendre vers cet idéal d’exploitation de taille intermédiaire, on instaure un cadre juridique qui va limiter, d’une part, les possibilités de créer des exploitations de taille inférieure et, d’autre part, celles d’agrandir à outrance les exploitations existantes.

La Surface Minimum d’Installation (SMI)

La loi de 1962 crée une surface minimum d’installation (SMI) en-dessous de laquelle on estime que l’installation ne doit pas être encouragée, car non rentable économiquement. Cette SMI est promulguée par arrêté préfectoral (et révisée périodiquement) au sein du SDDS après consultation par le préfet des collectivités locales et des organismes agricoles. Elle est déterminée par petite région agricole, pondérable par type de culture. À l’origine, on la définissait comme le seuil de survie d’une exploitation en polyculture élevage. Celle-ci détermine depuis 1981 le statut d’agriculteur (cotisant à la Mutualité Sociale Agricole), que l’on obtient lorsqu’on a une surface d’au moins 0,5 SMI.

C’était aussi en fonction de cette SMI que l’on fixait la surface au-delà de laquelle on jugeait bon de demander une autorisation d’exploiter avant la création de l’Unité de Référence (UR) par la Loi d’Orientation Agricole de 1999.

L’Unité de Référence (UR)

Celle-ci est définie à l’article 312-5 du Code Rural et de la pêche maritime comme suit : c’est « la surface qui permet d’assurer la viabilité de l’exploitation compte tenu de la nature des cultures et des ateliers de production hors sol ainsi que des autres activités agricoles ».

Il s’agit encore une fois de s’assurer de la capacité des exploitations à vivre et se développer dans l’environnement économique actuel. L’UR est calculée par rapport aux orientations définies au niveau départemental ainsi que par rapport à la taille moyenne des exploitations de la zone dans les cinq dernières années.

Une UR représente en moyenne deux SMI La principale différence avec la SMI est la prise en compte du type de culture dans le calcul de rentabilité économique escomptée de l’exploitation par rapport à sa surface. Cette U.R. sert de référence pour demander ou non une autorisation d’exploiter.

L’autorisation d’exploiter

Cette autorisation concerne uniquement la mise en valeur des terres, c’est-à-dire leur exploitation. Elle n’est donc pas nécessaire en cas d’achat de terre, mais elle l’est lors de la prise de terres en location, quelque soit le contrat, dans le cadre prévu par la loi.

La demande d’autorisation d’exploiter doit être faite dans le cas où la surface de l’exploitation (quelque soit le mode de tenure) dépasse 0,5 à 1,5 UR selon le seuil défini par le SDDS. Elle est également obligatoire en cas de destruction d’une exploitation jugée viable en l’état (comprise entre 1/3 et 1 UR selon le SDDS) qu’elle soit absorbée dans une plus grande, partagée en plusieurs morceaux et/ou privée d’un bâtiment essentiel pour son exploitation. D’autre part, l’autorisation d’exploiter est requise pour toute personne voulant devenir exploitant si elle n’a ni diplôme, ni expérience dans le domaine agricole reconnu par la loi 4 ou si la personne est jugée trop âgée 5.

Cette demande doit être formulée à la Direction Départementale de l’Agriculture et des Forêts (DDAF) devenue Direction Départementale des Territoires depuis janvier 2010 (DDT). Elle est ensuite étudiée dans un délai de 4 mois (qui peut être étendu à 6 mois sur demande du préfet) par la Commission Départementale d’Orientation Agricole (CDOA). La CDOA émet un avis sur les demandes d’autorisation d’exploiter. Si dans ce délai aucune réponse n’est donnée, on considère que l’autorisation est acceptée.

La Commission Départementale d’Orientation Agricole (CDOA)

Elle est chargée de donner un avis au préfet sur la demande formulée. Elle s’appuie notamment sur le SDDS pour cela. Elle a été créée par la LOA (Loi d’Orientation Agricole) de 1995 et modifiée par celle de 1999. Ses 32 ou 33 membres sont désignés par arrêté préfectoral pour trois ans. Le préfet préside cette commission qui doit comprendre entre autres 6 :

  • le président du conseil régional,

  • le président du conseil général,

  • le directeur de la DDAF,

  • trois représentants de la chambre d’agriculture,

  • le président de la Mutuelle Sociale Agricole (MSA),

  • deux représentants du secteur agroalimentaire (un coopératif, l’autre non),

  • huit représentants des organisations syndicales d’exploitants agricoles,

  • un représentant des salariés agricoles présenté par le syndicat majoritaire du département,

  • deux représentants d’associations agrées pour la protection de l’environnement

  • un représentant des consommateurs, etc.

La CDOA offre ainsi une enceinte dans laquelle se rencontrent les différentes parties concernées par la gestion de la terre, qu’il s’agisse des collectivités locales, de la société civile, mais aussi des différentes organisations professionnelles agricoles en plus des syndicats agricoles représentatifs. Cela démontre un souci d’ouverture de la question agricole à tout le monde.

Cependant, le danger de ce fonctionnement est le cumul des mandats, qui n’est pas interdit, et qui peut donner beaucoup de pouvoir à une seule personne ou à un groupe particulier.

La CDOA a pour objectif de concourir « à l’élaboration et à la mise en œuvre, dans le département, des politiques publiques en faveur de l’agriculture, de l’agro-industrie et du monde rural ». Elle participe à la définition des priorités concernant la production agricole ainsi que les structures du projet départemental et se prononce sur « les projets d’actes réglementaires et individuels en matière de structures agricoles, d’aides aux exploitants, aux exploitations, aux cultures et aux modes de production » 7.

Évolutions et limites de la politique des structures

La politique de contrôle des structures a subi quelques modifications depuis ses débuts. Mais elle reste toujours centrée sur les mêmes objectifs, et utilise des moyens similaires. L’instauration du S.D.D.S. permet plus de transparence dans la définition des objectifs locaux auxquels on peut se référer en cas de litige. L’intérêt de la C.D.O.A. est de mettre autour d’une table tous les acteurs touchés par l’agriculture afin de prendre des décisions quant à ses orientations. L’U.R. propose une amélioration de la S.M.I. qui était mal adaptée à toutes les cultures.

Cependant, depuis les années 60, on constate une hausse constante de la surface minimum requise pour avoir accès au statut d’agriculteur. Cela entraîne une pression sur les terres dans la mesure où tous ceux qui exploitent moins d’une demi SMI en tout ne sont pas considérés comme agriculteurs et doivent verser 10% de leurs revenus annuels à la Mutuelle Sociale Agricole sans pour autant être couverts par elle. Cela constitue ainsi une obligation d’adhérer au modèle idéal, et la non reconnaissance d’une autre façon de concevoir l’agriculture.

D’une manière générale, ce travers se retrouve dans tout le mode de fonctionnement de la politique des structures. Le syndicalisme majoritaire est porteur de ce modèle d’exploitation qui n’est pas remis en cause dans les lois agricoles successives. Les agriculteurs sont toujours incités à s’agrandir, pour produire plus à moindre coût, en misant sur des économies d’échelle. Dans les chambres d’agricultures, qui sont dans leur immense majorité dirigées par le syndicalisme majoritaire, les conseillers inciteront toujours les candidats à l’installation à investir dans une grande exploitation très moderne. Si le marché des produits agricoles se portait bien, cela pourrait être un bon calcul. Le problème est que le revenu tiré de l’exploitation de la terre est assez faible, alors que les investissements sont très élevés. Encourager un agrandissement incessant des exploitations revient à augmenter l’investissement de départ. Or on constate dans de nombreuses régions que l’installation et la transmission sont très difficiles et rares, souvent du fait de ce montant d’investissement trop important. Les terres libérées par des départs en retraite sont le plus souvent partagées entre plusieurs exploitations afin de les agrandir.

Si dans les discours l’installation est toujours au cœur des priorités (lois, S.D.D.S., missions de la SAFER, de la CDOA…), elle est en réalité souvent écartée au profit de l’agrandissement, au nom de la « viabilité » des exploitations et de toute façon toujours fragilisée par l’évolution de l’exploitation idéale. Chaque année, la SMI, l’UR augmentent, laissant de côté les exploitations ne rentrant pas dans le cadre.

Sommaire du dossier

1 cité par Chantal de Crisenoy in « Le contrôle des structures, de la loi sur les cumuls aux projets d’offices fonciers : 1962-1982, vingt ans de discours », Communications présentées au colloque national de l’association des ruralistes français Appropriation et utilisation de l’espace rural loi et coutumes, Tours, 1982

2 voir le site de la SAFER : www.safer.fr/creation-loi-orientation-agricole.asp

3 cf. la fiche sur les SAFER

4 énoncés dans l’arrêté du 6 avril 2009 consultable ici : 2doc.net/ykfez

5 La liste exhaustive des cas se trouve dans l’article L331-2 du Code rural et de la pêche consultable ici : 2doc.net/ap5wx

6 Pour une liste exhaustive des membres voir l’article R313-2 du Code rural et de la pêche maritime consultable ici : 2doc.net/pnf51

7 Article R313-1 du Code Rural et de la Pêche maritime consultable ici :2doc.net/zbdpm