français | español | english
Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Autres modalités d’articulation entre des dispositifs d’exploitation de la forêt et les populations locales : deux exemples d’une gouvernance souvent problématique

Un dispositif de « forêt communale » au Cameroun : la forêt de Djoum

Documents sources

Stage de fin d’études d’Ingénieur de Cécile Pinsart

La Foresterie communale, un autre dispositif de la réforme de 1994

La commune est un échelon administratif qui regroupe plusieurs villages et communautés. Elle est responsable de leur gestion à des fins d’intérêt collectif. Le dispositif des forêts communales a été introduit par la réforme de la loi forestière de 1994 dans le but de décentraliser une partie de la gestion des ressources forestières et d’offrir de nouvelles opportunités de développement socio-économique à l’échelle locale. La gestion des « forêts communales » revêt des enjeux tout aussi importants que celle des concessions forestières (Unités forestières d’Aménagement) (voir fiche C-8). Mais ce modèle de gestion est encore peu répandu au Cameroun : en 2005, on comptait seulement dans tout le pays une quinzaine de forêts communales, dont la superficie variait entre 10 000 et 30 000 hectares1.

Malgré les avancées légales de la décentralisation dans le secteur forestier, les mécanismes de participation locale à la gestion des ressources et au bénéfice de leur exploitation n’ont souvent pas eu les effets espérés. Des problèmes surgissent notamment à cause du manque de transparence des instances de gestion et de la faible implication des populations en leur sein. L’objectif de certains responsables semble parfois être davantage d’accaparer une part de la rente forestière destinée à la commune plutôt que de servir l’intérêt collectif.

La loi instaure pourtant des mécanismes qui devraient faciliter le contrôle et la participation des populations locales à la gestion des ressources. Elle pose comme une obligation que les communautés riveraines de la Forêt communale soient consultées lors de sa constitution et de sa délimitation. Elle prévoit aussi la mise en place d’un système de gestion de l’exploitation de la « forêt communale », formé de représentants des communautés.

La pratique est souvent bien différente. Les communautés ne sont pas consultées aux moments où la loi le prévoit et les instances communautaires sont faiblement prises en compte lors des prises de décision2. Ici encore, les asymétries de pouvoirs informationnel et économique entre les responsables d’institutions communales et les populations locales est l’une des explications de la difficulté à mettre en place le processus de gestion participative imaginé par le législateur.

Bien que le dispositif de la foresterie communale constitue une avancée importante dans l’histoire de la gestion des forêts du Cameroun jusqu’alors fortement centralisée, les modalités de sa concrétisation semblent avoir fait l’objet de peu d’attention. Les conséquences sont lourdes dans un contexte où les structures politiques de gouvernance locale les plus anciennes ont subi des bouleversements multiples au cours des 150 dernières années et où les plus récentes sont peu appropriées par la majorité des habitants. Un important travail reste à faire pour renforcer les mécanismes de construction des choix politiques par les citoyens à l’échelle locale.

L’organisation de la gestion d’une forêt communale au niveau de la commune

Les forêts communales relèvent des règles du Domaine Forestier Permanent et leur gestion doit respecter un « Plan d’Aménagement » approuvé par l’administration forestière. La commune obtient en concession des droits de gestion et d’exploitation sur la ressource forestière.

Le plus souvent, les communes ne disposent pas des moyens en matériel et personnel, ni des compétences techniques nécessaires à l’exploitation forestière. Après approbation du Plan d’aménagement, elles décident généralement de vendre des « permis de coupe » à des opérateurs externes (entreprises forestières) qui exploiteront leur forêt. L’attribution de ces permis de coupe doit suivre une procédure d’appel d’offre. Mais des stratégies de contournement permettant aux autorités communales de choisir leur prestataires ont été observées.

La commune peut également exploiter les produits forestier non ligneux qui se trouvent dans l’espace défini comme forêt communale, sous réserve de le spécifier dans le Plan d’Aménagement et d’obtenir un permis spécial d’exploitation (d’une durée de 12 mois) pour ces produits. Dans la pratique, ces conditions ne sont pas toujours respectées et des produits présentant un grand intérêt commercial comme l’ébène peuvent être exploités hors du respect des conditions établies.

L’arrêté 5203 fixant « les modalités d’emploi et de suivi de la gestion des revenus provenant de l’exploitation des ressources forestières et fauniques destinées aux Communes et aux Communautés villageoises riveraines » s’applique aux « forêts communales ». Ces revenus comprennent les quotes-parts du produit de la redevance forestière annuelle, mais aussi les revenus issus de l’exploitation des forêts et les autres taxes liées aux ressources forestières. La loi destine 30% de ces revenus à la réalisation d’infrastructures de développement dans les communautés villageoises riveraines de la forêt communale4. La gestion et l’affectation de ces revenus est à la charge d’un « comité riverain de gestion », dans lequel le maire a un statut de rapporteur sans pouvoir décisionnel. Le rôle de ces comités est contesté par certains maires qui les voient comme des autorités concurrentes illégitimes, et les considèrent même parfois comme un obstacle aux politiques de décentralisation. De fait, des dynamiques de noyautage et de prise de contrôle de ces comités ont parfois cours. Leur rôle de garant de la bonne gestion (de la bonne répartition et de la bonne utilisation) des recettes de l’exploitation, qui leur est attribué par la loi, devient alors purement fictif. Ils ne sont plus en mesure de garantir que les revenus de la forêt communale soient employés pour le bénéfice de toutes les communautés et villages rassemblés sous l’échelon administratif de la commune.

La prise en compte des intérêts des villageois et les « Comités Paysans Forêt »

Dans le cadre des forêts communales, la loi forestière prévoit de nombreuses mesures pour garantir la prise en compte et l’implication des populations locales dans le processus de gestion des ressources forestières. On peut citer :

a) une réunion initiale d’information sur les limites de la forêt communale, avant son classement, afin de permettre le dépôt de réclamations éventuelles et d’ouvrir droit à des indemnisations en cas d’expropriation ;

b) la prise en compte des usages locaux lors de la réalisation du plan d’aménagement ;

c) la création d’un comité consultatif pour la gestion des ressources forestières5.

Le cadre normatif qui régule la gestion des forêts communales prévoit la création dans chaque forêt communale de « Comités Paysans Forêt » (CPF), établis à raison d’un par canton. Ils participent à la consultation et à la négociation entre les autorités de gestion de la forêt communale (qui peut couvrir plusieurs cantons) et les populations des villages concernés. Les CPF sont censés garantir l’intégration et participation des populations locales dans l’appareil de gestion des ressources forestières de la forêt communale6. La loi leur assigne notamment une fonction importante lors de la réalisation du plan d’aménagement de la forêt communale, celle d’assurer la participation des populations locales à la réalisation des études socio-économiques qui recensent les utilisations faites des ressources naturelles par les populations. Une responsabilité dans la lutte contre l’exploitation illégale leur est aussi assignée : elle leur confère un rôle de « gardiens de la forêt ».

En 2010, a été créé le Centre technique de la forêt communale, CTFC, une ONG appuyée par la coopération allemande (GIZ), dans le but d’appuyer la foresterie communale et surtout la création et la formation des Comités Paysans Forêt. Entre 2010 et 2011, cette organisation a appuyé la création de nouveaux CPF auprès de la plupart des communautés riveraines des forêts communales. Leurs membres ont suivi des formations relatives à la gestion des forêts communales (relatives aux droits des populations locales définis par la loi, au procédure de contrôle de l’exploitation et de la gestion des ressources financières qu’elle génère …).

Une illustration : la forêt communale de Djoum

1- Une faible implication des populations locales

Dans la commune de Djoum, dans la pratique, les populations locales ont été très peu impliquées au moment de la réalisation du plan d’aménagement de la forêt communale. Elles disent ne pas avoir été correctement informées à propos de la création de la forêt communale durant de nombreuses années. Les deux premiers Comités Paysans Forêt (représentant deux des trois cantons de la commune) ont été créés à Djoum seulement en 2011, soit bien après l’exploitation du premier « bloc quinquennal »7 et la création même de la forêt communale, qui a été classée en tant que telle en 2002.

À sa création, les informations utiles n’ont souvent pas été rendues publiques et les autorités traditionnelles n’ont pas été conviées au sein de la commission de classement. Les communautés locales ont contesté la délimitation de la forêt communale dès la procédure de définition, car celle-ci ne tenait pas compte de leurs utilisations des ressources naturelles8. La carte reprise du travail de Poissonnet et Lescuyer illustre cette situation en montrant la superposition du périmètre de la forêt communale avec les usages des ressources par les populations locales.

Les contestations avaient aussi pour cause l’impossibilité engendrée par la création de la forêt communale de pouvoir créer des « forêts communautaires » dans les villages. La forêt communale n’a pas laissé assez d’espace pour cela.

Les Comités Paysans Forêt sont par ailleurs peu représentatifs de la population de l’ensemble du canton. Ils ont du mal, pour cette raison, à assurer un rôle de vecteur de participation démocratique. Leurs membres sont souvent choisis par cooptation politique9. Le noyautage de ces comités par les élites locales, assez similaire à celui observé dans le cas des « forêts communautaires », les empêche d’agir dans le sens de l’intérêt général des populations qu’ils sont sensés représenter. La rétention des informations par les membres des comités est bien plus courante que leur transmission aux villageois. Les groupes qui souffrent le plus de ces logiques de privatisation des choix collectifs sont les populations Bakas et les femmes, qui ne sont souvent que des figurants au sein des CPF.

Insérer carte

Ainsi, les dispositions qui prévoient l’implication des populations locales ont été, jusqu’à présent, peu respectées dans la gestion de la forêt communale de Djoum.

2- Une répartition peu transparente des ressources générées par l’exploitation forestière

Les données comptables de l’exploitation de la forêt communale sont tout sauf publiques. Ni le responsable de la cellule d’aménagement de la forêt communale, ni les conseillers municipaux, ni aucun membre des Comités Paysans forêt ne connaissent les volumes de bois effectivement exploités durant le premier bloc quinquennal d’exploitation de la forêt communale. Le montant des revenus que l’exploitation a rapporté à la commune et l’utilisation faite de ces bénéfices ne sont pas portés à la connaissance des habitants des villages qui la composent. Il est notoire, en revanche, qu’ils n’ont bénéficié de la construction d’aucune infrastructure sociale depuis que l’exploitation du premier bloc a débuté.

On comprend dès lors que la forêt communale soit perçue par les populations comme une entité extérieure, dans laquelle elles n’ont aucun intérêt direct. Il s’agit, d’après elles, d’une « affaire accaparée par la mairie ».

 

1M. Poissonnet et G. Lescuyer, Aménagement forestier et participation: quelles leçons tirer des forêts communales du Cameroun?, Révue Vertigo Vol. 6, num. 2, 2005

2Des conflits fonciers peuvent surgir au moment de la définition des limites de la forêt communales. Dans le cas de la forêt communale de Djoum des mécontentements ont été exprimés par les populations locales à l’égard des limités proposé, puisque une importante partie des champs et cacaoyères était incluse à l’intérieur de ces limites. Ces derniers n’ont pourtant pas été modifiés et d’autres solutions ont été adoptés (voir M. Poissonnet, G. Lescuyer, 2005).

3L’arrêté conjoint n°520/MINATD/MINFI/MINFOF a été signé le 03 juin 2010 par le Gouvernement du Cameroun et abroge l’Arrêté conjoint N°00122/MINEFI/MINAT du 29 Avril 1998.

4et 70% aux Communes concernées par la forêt pour les actions de développement de tout le territoire de compétence de la Commune.

5M. Poissonnet et G. Lescuyer, 2005

6Les CPF sont les interlocuteurs des communautés riveraines avec l’administration forestière, la cellule d’aménagement de la commune et les concessionnaires forestiers. Ils peuvent donner leur avis consultatif sur les dossiers forestiers, ont un rôle d’animation et de sensibilisation des populations et doivent permettre la circulation de l’information entre les populations et l’administration forestière.

7Chaque bloc d’exploitation est composé de cinq assiettes annuelles de coupe, qui sont de fait calées sur le mandat d’un maire.

8Lorsque les communautés locales ont dénoncé la présence de cacaoyères à l’intérieur du périmètre délimité pour la forêt communale, des indemnisations ont été offertes dans deux des trois villages concernés. Dans le troisième, les cacaoyères ont été « enclavées » dans le périmètre de la forêt communale : les propriétaires ont le droit d’y travailler mais ils ne peuvent pas les agrandir.

9 Il est, de ce fait, difficile d’établir une stratégie partagée entre les CPF des différents cantons qui se retrouvent opposés pour des raisons purement politiques. (Source, entretiens réalisés sur le terrain)

Contexte

Le travail de terrain qui a été réalisé pour l’élaboration de ce dossier s’est surtout centré sur l’analyse des « forêts communautaires ». Mais les « forêts communautaires » ne constituent pas les seuls dispositifs qui aient été mis en place au Cameroun pour faire le lien entre les populations locales et l’exploitation des forêts.

Deux études de cas ont été réalisées par Cécile Pinsart lors de son stage avec AGTER et le CED en 2011. Elles portent sur :

  • les interactions entre les concessions, « Unités Forestières d’Aménagement » (UFA) et les communautés et les villages de leur voisinage;

  • les forêts communales.

Compte tenu de l’importance spatiale et économique des UFA et de l’intérêt de la création d’unités de gestion décentralisée opérationnelle des ressources forestières autour des communes, nous avons choisi d’en présenter une synthèse dans ce dossier. Elles aident à mieux comprendre la situation actuelle de la gouvernance des forêts au Cameroun.

Partant d’une observation ponctuelle de terrain, sans prétention aucune de décrire l’ensemble des situations qui peuvent se présenter dans ces deux cas de figure, et grâce à un travail bibliographique et à des entretiens avec des personnes ressources, ces deux fiches constituent avant tout une invitation à approfondir la réflexion.