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Les politiques des structures agricoles : un chantier sans fin

Rédigé par : Robert Levesque

Date de rédaction :

Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Type de document : Article / document de vulgarisation

Résumé

Cette note comporte un rapide rappel de la genèse de la politique des structures en France et de la loi du 13 décembre 2021 sur la régulation du marché des parts des sociétés agricoles. Elle commente cette loi. Elle propose des pistes pour revoir les politiques structurelles en France et en Europe dans un ensemble cohérent de politiques agricoles et alimentaires.

De plus, un encart commente les premiers résultats du recensement de l’agriculture de 2020, où avec une nouvelle typologie des « exploitations » des « micro-exploitations » apparaissent en lieu et place de celles qui étaient considérées « petites » auparavant.

Rappels sur la politique des structures agricoles

En France, une politique spécifique des structures de production agricole s’est mise en place à partir des années 1960. Elle s’est traduite par une régulation des marchés de la terre et des locations agricoles. Dans les années 1950, un mouvement social de jeunes ruraux, issu de la JAC (jeunesse agricole catholique), entendait faire entrer l’agriculture dans la modernité. Ils souhaitaient accéder à de nouvelles techniques agricoles (tracteurs, machines, engrais, nouvelles semences, produits phytosanitaires ou pesticides, etc.), à des unités de production moyenne au parcellaire remembré. Ils voulaient obtenir des revenus similaires à ceux des urbains, et être considérés agriculteurs, exploitants agricoles, chefs d’exploitation et non paysans. Ils s’inscrivaient dans la dynamique du « développement ».

L’une des originalités du mouvement social était d’avoir défini une référence d’unité de production agricole : une unité où le chef d’exploitation détenait les droits d’usage de la terre, en propriété et/ou en fermage, les capitaux de l’exploitation (donc avec ou sans terre), et où l’essentiel du travail était réalisé par deux unités de travail familial. Cette unité pouvait avoir recours à des CUMA (coopérative d’utilisation de matériel agricole). Les exploitants pouvaient également se réunir en GAEC (Groupement d’Exploitation Agricole en Commun) au sein desquels les associés avaient le statut de chef d’exploitation, détenaient le capital d’exploitation (hors foncier) et participaient aux travaux agricoles.

Une autre originalité était d’avoir mis en place des dispositifs pour réguler le marché des terres et des locations avec, en 1962, l’introduction du droit de préemption des SAFER (société d’aménagement et d’établissement rural) et la mise en place d’une commission départementale « anti-cumul ». Il s’agissait d’éviter le développement des grandes unités de production, de renforcer les moyennes en favorisant la disparition des petites structures non « viables économiquement » avec le versement d’indemnités viagères de départ (IVD) aux paysans âgés. Cette régulation organisée entre l’Etat et les représentants professionnels agricoles devait permettre d’orienter les terres mises librement sur les marchés vers les prioritaires de la politique des structures, vers des structures moyennes de production.

Pour la mise en œuvre de cette politique, ont été définies des surfaces minimales d’installation permettant d’atteindre un certain niveau de revenu. Pour tenir compte de la diversité des productions, des équivalences ont été calculées entre les diverses orientations technicoéconomiques des exploitations (OTEX). Les candidatures à la reprise de terre étaient évaluées selon le revenu potentiel généré. Ainsi, un éleveur de bovins-viande, un céréalier devait disposer de plus d’hectares qu’un producteur laitier, maraîcher, viticulteur, ou producteur de fruits, pour l’obtention d’un même revenu. En raisonnant sur le revenu espéré par unité de production et non par unité de surface, la politique des structures a été l’un des facteurs de la « céréalisation » de la ferme « France », de la diminution de la valeur ajoutée dégagée par hectare et ainsi de la concentration des terres.

Autre spécificité, cette politique des structures a été mise en œuvre par département, par région naturelle agricole. Les seuils de surface repères ont été différenciés entre les territoires. Plus les territoires étaient dotés de grandes unités de production, plus les références étaient élevées. Ainsi, un dossier à taille économique équivalente a plus de chance d’être accepté en zones de petites structures qu’en zones d’unités importantes. De plus, ces seuils de surface, définis par rapport à la surface moyenne des exploitations toutes productions confondues ou par type de production (OTEX, orientation technicoéconomique), augmentaient mécaniquement après chaque enquête statistique structurelle ; la politique des structures accompagnait de la sorte la concentration des terres et menait à l’élimination progressive des plus petites unités de production.

À souligner : la politique des structures s’est inscrite dans un mouvement général de « modernisation » de l’agriculture, du « développement » agricole, avec des conseils, un appui de la recherche, des mesures fiscales adaptées à l’agrandissement progressif des unités de production. Elle a été accompagnée par la politique de soutien des revenus, via le soutien des prix de la production agricole (céréales, lait, viande) du « Marché Commun » puis, après 1992, via les aides proportionnelles aux surfaces cultivées. Elle a été associée à la politique d’aménagement foncier dont le remembrement était la pièce maîtresse. En effet, en 1960, le morcellement parcellaire était vu comme un handicap majeur à la modernisation de l’agriculture, à l’auto-mécanisation. L’adaptation des parcelles aux machines (et non l’adaptation des machines aux parcelles agronomiques s’est opérée pour partie au travers des remembrements communaux avec l’arasement de haies, le comblement de fossés, la suppression de mares, de chemins, le drainage de nombreuses zones humides).

Pour de multiples raisons1, ce contrôle des marchés fonciers conçu pour des unités individuelles de production est devenu de moins en moins efficace, notamment à partir de la fin des années 1980. L’un des angles morts de cette politique des structures était le contrôle du marché des parts sociales des sociétés agricoles tant de portage foncier que de production, qui sont apparues depuis plus de 3 décennies.

La régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (la loi du 13 décembre 2021)

Le 13 décembre 2021, après un an de travaux parlementaires, les députés ont adopté définitivement la loi portant sur « des mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires ». Cette loi vient donc compléter le dispositif du contrôle des structures et de la régulation du marché immobilier agricole confiée aux SAFER ; elle ouvre la possibilité de réguler le marché des actions ou parts de sociétés propriétaires ou « exploitantes » de biens immobiliers agricoles.

Bref historique de la proposition de loi

Le contrôle du marché des parts sociales des sociétés agricoles était un sujet en débat depuis plusieurs années. Dans une première étape, pour mieux connaître ce marché, la loi d’avenir agricole de 2014 a instauré l’obligation de notifier aux SAFER les projets de vente des parts sociales. Ainsi, à partir de 2016, les SAFER ont été notifiées des projets de ventes et ont pu dès 2017 fournir un premier aperçu du marché. Dès la première année d’observation, on a estimé que le marché des parts sociales correspondait à un changement d’exploitants pour environ 200 000 hectares. Dans une seconde étape, sous l’impulsion du député Dominique Potier, avec la loi du 20 mars 2017 relative « à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, il était envisagé d’étendre le champ d’application du droit de préemption des SAFER aux cessions partielles de parts ou d’actions d’une société dont l’objet principal était l’exploitation ou la propriété agricole. Le Conseil constitutionnel a alors estimé que ce droit portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ; il n’a donc pas été inscrit dans le cadre législatif. Concrètement, on pouvait s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure ; en cas d’achat partiel de parts sociales de la SAFER, celle-ci pouvait empêcher l’arrivée d’un nouvel associé majoritaire mais sans toutefois avoir prise sur l’organisation de la production, ni sur l’évolution structurelle de la société ; en revanche elle aurait immobilisé un capital financier qui lui fait largement défaut par ailleurs. Troisième temps, lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait promis une loi foncière. « Nous renforcerons la transparence des transactions agricoles en soumettant toutes les sociétés foncières au contrôle des SAFER ; nous assurerons le financement du foncier et du capital d’exploitation en facilitant le recours à des outils de portage » était-il indiqué dans le programme de La République en Marche. Lors du salon de l’agriculture 2019, le président avait renouvelé l’engagement d’une nouvelle loi foncière tant pour aller vers le zéro artificialisation net que pour favoriser l’installation de jeunes agriculteurs. Toutefois, le gouvernement n’a pris aucune initiative. Quatrième temps, novembre 2019, un colloque à l’Assemblée nationale organisé par les députés Dominique Potier, Jean-Michel Clément et Jean-Bernard Sempastous, a été l’occasion d’un appel pour une nouvelle loi foncière soutenu par les collectivités territoriales, le monde agricole et des associations2. Cinquième temps, fin 2020, M Sempastous, député LREM, fait une proposition parlementaire de loi pour réguler le marché des parts sociales de sociétés agricoles. Le projet initial avait également l’ambition de réguler le travail délégué.

Avant même le dépôt du projet de loi à l’Assemblée Nationale, dès les premières discussions avec le Ministère de l’Agriculture et la profession agricole majoritaire, le projet est largement « recadré ». Le projet remanié ne vise plus que le contrôle des agrandissements « excessifs ». Ce projet réécrit fait alors l’objet de l’avis du Conseil d’Etat. En mai 2021, celui-ci reconnaît le bien-fondé d’un dispositif d’autorisations administratives préalables aux cessions de parts de sociétés exploitant des immeubles agricoles (GAEC, EARL, SCEA et autres SA) ou en détenant (GFA, SCI, etc)3; il considère que les finalités énoncées à l’article 1er de la proposition de loi rejoignent les objectifs du contrôle des structures (favoriser l’installation d’agriculteurs, consolider et maintenir une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée) et qu’en conséquence la nature des motifs d’intérêt général permet de justifier une atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété. Dans le même temps, il considère que le dispositif est conforme au droit européen4.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat recommande de ne pas préciser que la concentration excessive des terres et l’accaparement « se traduisent par l’exploitation ou la possession de terres au-delà du seuil d’agrandissement excessif » et de remplacer l’adjectif « excessif » par « significatif » pour qualifier le seuil d’agrandissement déclenchant le contrôle. Effectivement, l’adjectif « excessif » a été remplacé par « significatif », mais sans apporter d’autres modifications sur l’architecture du projet de loi. La notion d’excessif n’a pas pour autant été définie dans la loi et aucune limite de surface (de taille économique) n’est donnée aux exploitations agricoles. Si le mot excessif avait eu un sens dans la première mouture du projet de loi, la logique aurait conduit à interdire les agrandissements et les concentrations d’exploitations « excessifs » qualifiés maintenant de « significatifs ».

En revanche, le Conseil d’Etat n’a pas dénoncé la contradiction fondamentale du texte de loi entre l’objectif de renouvellement des générations en agriculture et de lutte contre la concentration des terres et un contrôle qui ne s’exerce que sur les structures qui dépassent (largement) la taille moyenne des unités de production. S’il avait existé une réelle volonté d’assurer le renouvellement des générations, le contrôle aurait porté au minimum sur toutes les opérations menant à des structures dépassant la moyenne des unités de production.

Ce projet de loi a été discuté et voté en procédure accélérée. Il a fait l’objet de profonds ajustements au Sénat et a été l’objet d’un compromis au sein d’une Commission mixte paritaire. L’assemblée nationale a adopté la loi le 13 décembre 2021.

La loi du 13 décembre dernier

Désormais, la régulation du marché des sociétés agricoles, détenant ou exploitant des biens agricoles, sur le principe d’une autorisation préalable administrative des cessions des parts de sociétés agricoles est inscrite dans la loi ; c’est une nouveauté, validée par le Conseil d’Etat, qui en théorie vient combler un angle mort de la politique des structures agricoles.

Cependant, cet acquis, aussi important soit-il, ne doit pas faire illusion. Le dispositif mis en place ne s’appliquera que sur un nombre très restreint de projets de cession ; il ne sera aucunement un obstacle à la concentration foncière en cours.

Un filet à grosses mailles

Les demandes d’autorisation de cession ne concernent que les opérations qui mènent à des unités de production ou de propriété dépassant 1,5 à 3 fois la surface agricole utile moyenne régionale moyenne (SAURM)5 des exploitations agricoles fixée dans les Schéma Directeurs Régionaux des Exploitations Agricoles (SDREA) ; cette SAURM peut être la surface moyenne de l’ensemble des exploitations ou des seules moyennes et grandes, voire de l’ensemble des exploitations OTEX par OTEX6.

Sur la base du recensement 2020, au niveau national, la surface moyenne de l’ensemble des exploitations est de 69 ha, celle des grandes et moyennes de 115 ha d’après la nouvelle nomenclature du Ministère de l’Agriculture, (cf ci-dessous l’encart sur le recensement de l’agriculture). Ainsi, les contrôles ne s’appliqueraient pas aux opérations de moins de 103 ha (1,5 x 69) ; en appliquant le coefficient 3 à ces surfaces moyennes, sans modification de l’arrêté de mars 2021, les contrôles ne se déclencheraient que pour les dossiers dépassant les 207 ha (3 x 69) ou les 345 ha (3 x 115). En réalité dans les régions, ces seuils varieront, à la hausse ou à la baisse, suivant leur écart à la moyenne nationale. En tout état de cause, il n’y aura que très peu de dossiers nécessitant une autorisation. En opérant de la sorte, on s’interdit une redistribution des terres en faveur de l’installation et de la confortation des « micro-exploitations » (en moyenne de 12 ha) et des « petites » (en moyenne de 48 ha). La concentration des terres ne peut que se poursuivre.

Des dérogations qui vont à l’encontre des objectifs visés

De nombreux dossiers dépassant le seuil de déclenchement de la demande d’autorisation de cessions vont « bénéficier » de dérogations : la reprise de biens de famille, les donations, les cessions entre associés de plus de 9 ans, et les cessions des personnes décédées ou devenues invalides.

La reprise de biens familiaux

Les reprises de biens de famille sont exclues du dispositif de demande d’autorisation. Depuis les années 1980, dans le cadre de la politique des structures, les reprises des biens de famille échappent au contrôle des structures. Ainsi, « l’installation-agrandissement » est un facteur puissant de concentration foncière : phase 1, les enfants d’agriculteurs s’installent sur des exploitations hors de l’exploitation familiale, en bénéficiant de la priorité à l’installation et en éliminant les candidats qui veulent étoffer leur exploitation ; phase 2, au moment de la cessation d’activité des parents (ou des oncles et tantes ou cousins) ils reprennent leur exploitation en invoquant la reprise de biens familiaux. Ce système de double priorité convient parfaitement pour concentrer les terres.

Ainsi, avec la loi du 13 décembre, les enfants déjà installés pourront s’agrandir en reprenant l’exploitation sociétaire des parents quelle que soit la taille finale de l’unité de production et ce sans contrôle sur les évolutions globales de l’emploi agricole et de la valeur ajoutée.

Les donations de parts sont exemptées

Exempter les donations quel que soit le degré de parenté ouvre la voie à un contournement du régime d’autorisation. Dans une première étape, par exemple, un associé pourra acheter des parts, éventuellement au prix fort, pour atteindre les 39% de participation dans la société, puis dans un second temps bénéficier d’une donation pour dépasser ce seuil sans contrôle.

Avant 2013, les donations de biens immobiliers ont permis de contourner le droit de préemption des SAFER ; cet état de fait avait été mis au grand jour et avait amené le législateur à donner un droit de préemption aux SAFER sur les donations à partir du 6e degré. Au niveau du contrôle des structures, lorsqu’un bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d’un parent ou allié au-delà du troisième degré, l’opération est soumise à autorisation. Aussi par souci de cohérence, pour éviter le contournement du dispositif, les cessions entre parents à partir du quatrième degré inclus devraient être soumises à autorisation.

Les cessions entre associés de 9 ans et plus, les cessions de personnes décédées ou invalides

Les cessions entre associés depuis plus de 9 ans comme celles de personnes décédées ou devenues invalides sont exemptées de demande d’autorisation. Ces opérations n’offrent aucune garantie au regard des objectifs de la loi, par rapport à une évolution positive de l’emploi et de la valeur ajoutée. Aucune raison objective ne ju1stifie de telles dérogations.

La compensation : la négociation sans cadre

Quand l’opération « significative », anciennement qualifiée d’« excessive », est soumise à autorisation et ne bénéficie d’aucune dérogation, une compensation est envisageable en vue de pouvoir donner l’autorisation de cession des parts sociales. Une négociation peut s’engager entre l’Etat et les personnes concernées par la cession, avec ou sans le concours de la SAFER. L’administration peut accepter le projet de cession de parts à la condition que « des surfaces soient cédées, abandonnées au profit de l’installation », sans d’ailleurs faire référence à la consolidation des micros, petites et moyennes exploitations. Ces compensations n’ont pas à ramener l’unité de production en deçà de la surface « significative ». Il n’existe pour l’heure aucun critère sérieux d’appréciation de la compensation ; la décision sera alors arbitraire.

La loi ne respecte pas les préconisations européennes en matière de régulation des marchés concernant les structures

La Commission Européenne7 précise que s’il est possible de mettre en place des systèmes administratifs d’autorisations préalables de ventes, ces cessions doivent s’opérer après la réalisation effective des engagements et ce pour la sécurité juridique des actes de cession. Dans la mesure où la loi de décembre dernier permet la réalisation des engagements après la cession effective, le non respect des engagements pris peut entraîner des processus judiciaires longs, compliqués, totalement insatisfaisants pour les parties prenantes. Par souci de clarification, de simplification, il vaudrait mieux respecter l’esprit de la communication européenne.

La loi réajuste à la marge le contrôle des structures

À la mise en place du contrôle des structures au début des années 1960, en cas de candidature unique, l’autorisation d’exploiter pouvait être refusée ; il s’agissait de donner la possibilité à d’autres candidatures de se manifester. A partir des années 1980, en cas de non-concurrence, l’autorisation d’exploiter ne pouvait être refusée.

Pour éviter que seules les personnes étant en capacité de monter rapidement un projet de reprise, l’Assemblée Nationale en première lecture a donné au Préfet la possibilité de refuser l’autorisation d’exploiter en cas de non-concurrence si l’opération était contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations du schéma directeur régional des exploitations agricoles, notamment en ce qui concerne l’objectif principal de favoriser l’installation d’agriculteurs.

Le Sénat est intervenu. Finalement, en cas de candidature unique, la loi ouvre la possibilité de suspendre l’instruction du dossier durant 8 mois, pour faire de la publicité et examiner de nouvelles candidatures. Cette disposition si elle améliore la situation n’empêche pas des agrandissements et installations « excessifs » quand on connait la durée nécessaire de monter des dossiers de reprise.

Commentaires

Le recours à des prestataires de services pour l’intégralité des travaux agricoles effectués sur l’unité de production (travail à façon, travail délégué, travail des entreprises de travaux agricoles) n’a finalement pas fait l’objet d’un encadrement alors qu’il participe à la concentration foncière en permettant le contournement du statut du fermage. Les pas-de-porte, pratiques également contraires au statut du fermage, n’ont pas fait l’objet de débats alors qu’ils participent bien au processus de concentration foncière.

Les seuils de contrôle très élevés, bien au-delà de la surface moyenne des exploitations agricole, les nombreuses dérogations, la possibilité de compensations arbitraires, les cessions passées avant la réalisation des engagements lié à la compensation, ne vont pas permettre d’atteindre les objectifs visés. Dans quelques cas, elle pourra permettre à la profession agricole en place d’écarter de nouveaux venus, comme des investisseurs chinois, de leur territoire.

Résoudre les incohérences entre les objectifs et les moyens des politiques agricoles européenne et française d’aujourd’hui

Aujourd’hui, le contexte agricole, alimentaire, social, écologique, a fondamentalement changé par rapport aux années 1960. Les politiques agricoles et alimentaires, nationales ou européennes, affichent des objectifs de défense de l’agriculture familiale, de renouvellement générationnel des travailleurs agricoles, de lutte contre la concentration et l’accaparement des terres, de renforcement de la sécurité alimentaire des européens, d’une alimentation de qualité et accessible à tous, de préservation de la biodiversité, de lutte contre le dérèglement climatique, de développement de l’agroécologie.

Si les objectifs affichés sont largement partagés par une large part de la population française et européenne, les mesures et dispositifs des politiques ne permettent pas de les atteindre : - la concentration des terres est chaque jour plus forte (cf encart sur les premiers résultats du recensement de l’agriculture), - même si le phénomène est progressif, l’agriculture familiale recule pour laisser place à une agriculture à salariés ou recourant largement à des prestataires de service (dans ce mouvement, l’activité agricole d’une logique de création maximale de valeur ajoutée et d’emploi par unité de surface, au sein des unités familiales/paysannes, à une logique de la recherche de gain maximal des détenteurs des parts des sociétés d’exploitation qui ne participent pas aux travaux agricoles8), - la biodiversité décline à un rythme sans précédent, à cause de la fragmentation des terroirs agricoles, de l’usage des pesticides, de parcelles dont la taille dépasse l’optimum biologique (de l’ordre de 12 ha), - le déficit agricole net de l’Europe s’accroît.

Si l’Union Européenne veut préserver l’agriculture familiale/paysanne comme elle l’avance, pour diverses raisons, d’emplois, de création de richesse, du développement de l’agroécologie (versus systèmes standardisés et simplifiés de production), la Politique Agricole Commune (PAC) doit non seulement intervenir sur la formation du revenu des travailleurs agricoles (soutien aux revenus en tenant compte des économies d’échelle, des impacts environnementaux des pratiques agricoles sur le climat, la biodiversité, l’érosion, le tassement des sols, les pollutions), mais également sur l’évolution et la structure des unités de production. Il ne peut pas exister une politique agricole commune (PAC) cohérente sans un volet portant sur les structures de production au regard des disparités entre états et au sein des états. Les écarts vont de 1 à 1000 entre des exploitations de 10 à 10 000 ha au sein de l’Union Européenne, de 1 à 50 (entre des structures de 20 à 1000 ha en France). Aujourd’hui, la PAC favorise les plus grandes unités de production qui sont des sociétés à salariés au détriment des unités de production familiale/paysanne.

Les politiques agricoles et alimentaires doivent comprendre un volet structurel tant au niveau européen qu’au niveau français, qui rentre en cohérence avec la politique de soutien des revenus des travailleurs agricoles, et de l’extension des pratiques agroécologiques.

Actuellement, au niveau européen, la politique structurelle est d’abord celle des marchés fonciers non régulés ou insuffisamment régulés des terres, des locations, des actions de sociétés agricoles, qui conduit à la disparition programmée des petites unités de production et de la marginalisation de l’agriculture familiale/paysanne. Bien que l’Union Européenne avance défendre une agriculture familiale, elle ne développe pas de politique structurelle spécifique pour le faire. Toutefois, elle laisse aux états-membres la possibilité de le faire9 s’ils le souhaitent.

En France, comme en Europe, la politique des structures doit reposer notamment sur la régulation des divers marchés fonciers (marchés des biens immobiliers agricoles, marchés des locations, marchés des parts des sociétés détenant ou utilisant des biens agricoles) pour orienter les terres offertes sur ces marchés vers les prioritaires de la politique agricole. Il convient d’orienter les terres libérées par les cessations d’activité vers les paysans et paysannes qui créent de l’emploi, de la valeur ajoutée rapportée à l’hectare, et s’engagent dans la transition écologique et de leur assurer un revenu suffisant quitte à revoir les modalités de répartition actuelle des aides de la PAC.

En France, la politique des structures doit être plus lisible, simplifiée, plus égalitaire entre territoires. Pour relever le défi générationnel, les installations ou l’étoffement des plus petites unités doivent être prioritaires sur tout le territoire, dans la mesure où les porteurs de projet obtiennent un revenu qui leur conviennent ; la priorité à la reprise des biens familiaux ne doit plus permettre la concentration des terres (comme mesure conservatoire, les seuils de contrôle ne doivent plus être relevés après chaque enquête statistique). Le statut du fermage doit être appliqué dans toutes ses dimensions pour supprimer les pas-de-porte et le travail délégué intégral. La régulation des marchés fonciers doit être accompagnée d’une politique d’aménagement foncier environnemental pour réparer ce que le remembrement a pu détruire en recréant des haies, fossés, ripisylves, en favorisant l’association arbres et agriculture, …), en préservant les sièges des unités de production agricole, en disposant de capacité de stockage et/ou de gestion temporaire des biens agricoles pour assurer la transition entre la cessation d’activité des cédants et la reprise par des porteurs de projets répondants aux objectifs de la politique agricole.

Cette régulation foncière doit se faire plus démocratiquement avec toutes les parties concernées : les producteurs (représentation des divers syndicats agricoles), les élus locaux et les consommateurs, notamment dans le cadre des projets alimentaires territoriaux (PAT), les associations écologiques. L’accès à l’information foncière (propriété, usages, marchés fonciers) doit être une réalité pour toutes les parties prenantes. Cette régulation foncière doit s’appuyer sur des opérateurs fonciers bien distincts des décideurs des attributions de biens agricoles. Pour éviter de détruire plus de 8 000 emplois par an, il faut accepter que quelques centaines de personnes puissent gérer le dispositif de régulation, les dépenses afférentes devant être considérées comme un investissement d’avenir.

Pour que la PAC puisse atteindre ses objectifs, l’Union Européenne doit également mettre en œuvre une politique structurelle, qui était d’ailleurs prévue aux premières heures du « Marché Commun ». Elle doit inciter les Etats-membres à réguler les marchés fonciers, établir un observatoire opérationnel des marchés fonciers qui permettent aux Etats-membres de prendre en compte les unités de production dont les terres sont réparties sur plusieurs états-membres.

Commentaires des résultats provisoires du recensement de l’agriculture de 2020

Les tendances lourdes

Les premiers chiffres publiés du recensement agricole indiquent, entre 2010 et 2020 :

  • la poursuite de la concentration des terres : la moyenne des surfaces par unité de production a augmenté de 25 % quand leur nombre a reculé de 21%,

  • un recul de l’emploi agricole de 11% (en équivalent temps plein, ETP); soit une perte de 81 000 emplois sur 10 ans (- 8 100 en moyenne annuelle), qui résulte d’un repli des emplois de chefs d’exploitation et de leur famille de 88 000 ETP et d’une hausse des emplois salariés de 7000 ETP ;

  • la part du travail salarié en hausse ; les salariés représentent dorénavant 32% de la main d’œuvre en 2020 contre 28% en 2010, sans prendre en compte les prestations de service,

  • une diminution de 11% des exploitations sous statut individuel, qui représente 58 % des effectifs pour environ le tiers des surfaces10, donc une majorité en nombre mais pour une partie minoritaire des surfaces.

La tendance lourde est bien la concentration des terres en des unités de moins en moins nombreuses (- 21% en effectifs) et de plus en plus grandes (surface moyenne en hausse de 25%) et ayant recours de plus en plus largement à une main d’œuvre salariée. Elle confirme la régression progressive de l’agriculture familiale, paysanne, où le travail est essentiellement fourni par ceux qui détiennent les droits d’usage des terres (en propriété ou en fermage) et les capitaux de l’unité de production (hors biens immobiliers).

Une sous-estimation de la concentration foncière

Toutefois, le recensement de l’agriculture n’arrive pas à donner une image fidèle de la concentration des terres.

Le recensement agricole s’appuie sur les déclarations de surface des exploitations pour l’obtention notamment des aides de la PAC. Il s’avère que les unités administratives ne correspondent pas toujours à la réalité économique : une même personne, au demeurant physique ou morale, peut contrôler une exploitation individuelle et/ou détenir la majorité des parts sociales dans une ou plusieurs sociétés établissant chacune une déclaration de surface. Ainsi, il y a plus de déclarations de surface que de véritables unités de production agricole ; l’appareil statistique du Ministère devrait pouvoir accéder au fichier des bénéficiaires effectifs11 qui est établi par la France pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le terrorisme, pour mieux cerner les unités de production effectives. Ceci permettrait de réunir dans une même unité de production les exploitations administratives ayant les mêmes bénéficiaires effectifs.

De plus, le recensement comptabilise comme « exploitation » les structures au sein desquelles tout le travail agricole est effectué par des entreprises de travaux agricoles (travail délégué, travail à façon, prestations de service). Ces structures (individuelles ou non) ne devraient pas être considérées comme une unité de production ; leurs terres devraient être rattachées à l’entreprise agricole assurant l’ensemble des travaux.

Ce qui est vrai pour l’appareil statistique français l’est également pour les autres états-membres et les services de la Commission Européenne. Un travail important est à conduire dans la durée pour arriver à obtenir une image plus fidèle de la réalité des unités de production agricole tant au niveau national que communautaire. Ce travail devrait d’ailleurs permettre de connaître les unités de production utilisant des terres dans plusieurs états-membres.

Une volonté d’invisibilisation des petits producteurs ?

La publication des résultats du recensement agricole révèle-t-il une volonté d’invisibilisation, d’exclusion, de non-reconnaissance des plus producteurs, et d’affaiblissement du contrôle des structures ?

Comme lors de l’enquête « structure » de 201612, le Ministère de l’Agriculture a présenté la répartition des exploitations en quatre catégories selon leur production brute standard (PBS13). En revanche, la dénomination a été modifiée. Les petites exploitations (moins de 25 000 euros de PBS) sont devenues les micro-exploitations, les moyennes (entre 25 000 et 100 000 euros) les petites, les grandes (hors très grandes) (entre 100 000 et 250 000 euros) sont désormais qualifiées de moyennes et les très grandes (plus de 250 000 euros) de grandes.

Comment ne pas y voir une volonté d’invisibiliser les plus petits, de ne plus leur apporter d’attention en les dénommant micro, en voulant les retirer du paysage agricole ? Comment ne pas voir une volonté de marginaliser les unités petites, considérées il y a 10 ans comme moyennes, pour justifier de politiques qui ne s’adressent qu’aux moyennes et grandes unités de production, considérées comme grandes il y a 10 ans ?

Ce nouveau regard pourrait-il avoir des conséquences en matière de politiques des structures ?

Les Schémas Directeurs Régionaux des Exploitations Agricoles (SDREA) définissent le seuil de surface au-delà duquel une autorisation d’exploiter est requise : ce seuil est compris entre le tiers et une fois la surface agricole utile régionale moyenne des exploitations (SAURM). Cette SAURM peut être la surface moyenne de l’ensemble des exploitations ou des seules moyennes et grandes ; elle peut être aussi la surface moyenne de l’ensemble des exploitations OTEX par OTEX14.

À texte législatif et réglementaire constant, dans les régions qui se réfèrent à la surface moyenne de l’ensemble des exploitations, les seuils de contrôle vont augmenter de l’ordre de 25% (la surface moyenne nationale étant passée de 55 ha en 2010 à 69 ha en 2020). Dans les régions qui font référence à la surface « des moyennes et grandes exploitation », le seuil de déclenchement du contrôle pourrait augmenter mécaniquement de plus de 50%, la surface moyenne nationale étant passée de 75 ha, nomenclature de 2010, à 115 ha avec la nomenclature de 2020. Sans modification de la nomenclature, la surface moyenne nationale serait passée de 75 ha à 90 ha environ ; la hausse aurait été de l’ordre de 20%.

En ce qui concerne la régulation du marché des parts sociales des sociétés agricoles, la loi du 13 décembre 2021 établit que le contrôle se déclenche à partir du moment où le projet de cession de parts fait franchir un seuil compris entre 1,5 et 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le SDREA. Avec cette nouvelle nomenclature du Ministère de l’Agriculture, les seuils de contrôle seront donc au-dessus de 100 ha en moyenne dans les départements se référant à l’ensemble des exploitations et de plus de 200 à 350 ha pour les régions se référant aux nouvelles moyennes et grandes exploitations. Progressivement, les contrôles se portent vers les hyper grandes exploitations, et ce sans compter les dérogations. Dans ces conditions, la concentration va se poursuivre à un rythme fort soutenu.

 

1 Le contournement du droit de préemption des SAFER par la location-vente, la constitution des sociétés agricoles, un contrôle des structures aux seuils régulièrement relevés, la priorité à l’installation sur l’étoffement, l’autorisation de droit en cas de candidature unique et un système de traitement administratif qui permet dans de nombreux départements de réduire les débats et les choix à opérer en Commission Départementale d’Orientation agricole

2les collectivités territoriales avec l’Association des Communautés de France, l’Association des Régions de France, le monde agricole avec la FNSEA, la Confédération Paysanne, Jeunes Agriculteurs, la Coordination Rurale, l’Assemblée Permanente des Chambres d’agriculture, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, le monde associatif avec AGTER, Terre de Liens, la Fondation pour la Nature et l’Homme, le CCFD - Terres Solidaires, les Parcs naturels régionaux…

3Ce dispositif de base avait été proposé par AGTER et Terre de liens fin 2018, cf « Préserver et partager la terre ». 

4Avis du Conseil d’Etat du 6 mai 2021 sur la proposition de loi (n°3853) portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

5Ou une taille économique équivalente.

6Arrêté du 10 mars 2021 fixant le modèle d’arrêté préfectoral portant schéma directeur régional des exploitations agricoles.

7Communication interprétative de la Commission sur l’acquisition de terres agricoles et le droit de l’Union européenne (2017/C 350/05).

8Les aides européennes dont une part croissante revient aux personnes qui n’ont pas d’activité agricole sont versées aux sociétés en contradiction avec l’article 39 du Traité de Fonctionnement de l’Union qui précise que les aides de la PAC soutiennent le revenu des travailleurs agricoles.

9Cf Communication interprétative de la Commission sur l’acquisition de terres agricoles et le droit de l’Union européenne (2017/C 350/05).

10D’après l’enquête structure de 2016, les exploitations individuelles utilisaient 36 % de la sole agricole.

11La directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, a renforcé les modalités de tenue des registres des bénéficiaires effectifs. Elle a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 et les décrets n° 2020-118 et n° 2020-119 du 12 février 2020, parus au journal officiel du 13 février 2020.L’article L. 561-2-2 du code monétaire et financier dispose que « le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques : soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ».

12Agreste Primeur n° 350-juin 2018

13Les surfaces agricoles et les cheptels déclarés au recensement agricole sont valorisés, par exploitation, selon des coefficients permettant le calcul de leur production brute standard (PBS). Cette PBS est une production potentielle de chacune des exploitations, calculée selon les prix et rendements d’une année donnée. Les coefficients de PBS représentent la valeur de la production potentielle par hectare ou par tête d’animal présent hors toute aide. Ils sont exprimés en euros.

14Arrêté du 10 mars 2021 fixant le modèle d’arrêté préfectoral portant schéma directeur régional des exploitations agricoles.

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